28 déc. 2008

germination d’autre chose

1. La germination: je ne sais pas si Michel Deleuze le jardinier, fin passionné des rhizomes, avait pris connaissance du phénomène de germination. La phase commence lorsque la graine entre en contact avec l’eau et s’arrête lorsque la plante devient autotrophe (càd se suffit à elle-même dans son environnement).

Tout nous semblait promis — nous avions l’envergure de ces grands oiseaux qui saisissent un territoire bien plus qu’ils ne le survolent, allant si vite en tout sens, en toute direction, que l’on peut dire que leurs ailes sont aussi grandes que ce territoire — nous nous aventurions partout, dans chaque recoin de chacune des ruelles que cette ville possédait, pénétrant les entrailles jusqu’à en traverser les parois — ne nous contentant pas seulement d’aller sur la peau métropole mais de la saisir, de la caresser, de la griffer, agissant dessus avec douceur ou rage, ambition ou désarroi; elle était le point d’horizon de nos existences et nous la baisions comme un corps malade baise le vivant, au-delà de l’épuisement jusqu’à la jouissance.

2. Etre autre chose — le pianiste qui ne peut devenir compositeur (parce qu’il ne peut oublier le scolaire et parvenir à la grâce du geste de la composition (les œuvres scolaires ne font pas œuvre) — se voit offrir deux solutions: accepter l’état de fait, ou devenir autre: un ni-compositeur ni-pianiste.

3 déc. 2008

décembre

1. Novembre 2008, l'épuisement d'une forme & l'apparition d'une autre (non pas nouvelle, neuve, mais déjà existante dans la précédente, en sommeil, en refus -- comme la pudeur dissimule l'affect.

2. La forme achevée là: ses derniers souffles sous mes yeux, et le reste du monde qui vient nous rappeler que c'est ainsi qu'il doit être -- les têtes mises de côté qui reviennent plusieurs fois par semaine, comme si le temps & l'espace se réunissaient adéquatement -- ainsi doit être une rencontre: le temps, l'espace, l'autre & nous (moi) qui se réunissent adéquatement.

3. Et la disparition reconstruit le monde, dessine de nouveaux territoires -- on peut se laisser glisser vers ces espaces qui s'ouvrent, puisque d'autres se sont refermés avec la disparition. Se replier dans l'espace qui se referme, c'est rester forclos dans le temps mort, dans le temps de la nostalgie, celui qui n'appelle pas à la vie. L’inverse: célébrer la mort, appeler les souvenirs -- "et c'est ici que tout reprend".

4. "C'est bien" -- voilà ce que je me suis dit, "c'est bien", en acquiescement de la tête.

5. Et continuer à écrire sous mon nom, c’est-à-dire sous un autre (Ici, 3.), (Là, 1.), c’est la conclusion de la nouvelle cyclocosmique.

6. Demander à ‘ceska de devenir ma lectrice de mon précédent bordel.

(…) Peut-être finalement sommes-nous trop sages, peut-être suffit-il simplement d’être grossier, vil et insupportable. Aguerris, les hommes deviennent des soldats et leurs batailles se font dans les règles de l’art. Les déserteurs ne sont jamais reconnus, ils n’ont pas de tombe, ils sont oubliés et leur courage à ne pas « en être » n’a pas de prise sur l’Histoire. Que reste-t-il donc de ces hommes cachés dans les buissons, qui écoutaient les batailles éclater dans leurs dos, les baisers des filles claquer sur les joues des vainqueurs et les pleurs retenus sur les tombes des vaincus ? Loin des honneurs et des félicités, par delà les hymnes chantés à tue-tête à la gloire de la quincaille des médailles que des généraux auront brocardé sur les vestes – avec la fierté d’une jeune mariée enfilant sa jarretière –, par delà les joies, loin des libations des revenants esquintés, des rages tues auprès des corps décharnés par les plombs et les bombes, des prières larmoyantes faites en l’honneur de ces hommes morts avant même qu’ils n’aient pu éprouver sur leurs lèvres le baiser de la terre humide des champs de bataille, hors des fantaisies militaires plastronnées par des fanfares ronronnantes, il y a le silence de ces hommes déserteurs un peu honteux de ne pas y en avoir été, et leur intime fierté de ne pas avoir donné de soi pour les autres, une candeur ternie par leur solitude pleine de volonté et d’abnégation révoltée contre la barbarie qui sommeille en chacun, laquelle devient courage et raison d’être dès lors qu’elle a sa place dans le sens de l’Histoire. Ecartés de tout, des chants de joie, des cérémonies funéraires, ils vivent aux yeux du monde sans reconnaissance ni mérite, effacés de la mémoire comme des corps disparus, fussent-ils encore agités par le sang battu au tempo d’un cœur. Désormais muets volontaires puisque la parole leur a été octroyée et leur existence leur a été retirée, ils vivent ainsi abandonnés sans nom, en fantôme sans prise ne provoquant ni colère ni dégoût, ni amour ni compassion. Quel est l’avenir pour ces hommes qui se sont retirés des batailles, qui se sont exclus des rangs serrés des hordes ? Quel amour sera-t-il donné pour ces hommes et ces femmes qui ont disparu lorsqu’on leur demandait de conquérir des territoires, des affections, du conjugal ? Quel avenir pour les femmes et les hommes qui ont choisi de ne pas faire souffrir, de ne pas participer à la mascarade égocentrique des relations, malgré les jouissances qu’ils auraient pu en retirer, les plaisirs maigres des coups de queue de fin de soirée et les baisers au creux des draps froissés sans lendemain ? Quel plaisir éprouvent-ils, quels bonheurs en retirent-elles, quel souvenir demeurera-t-il de ces corps qui se sont retirés à pas feutrés, sans éclat ni morgue revancharde, sans chantage ni stratégie, par delà les victoires et les défaites ? Les soldats marchent en rang, mus par des volontés de victoire, allant au feu comme d’autres vont à l’amour. Aux yeux de l’histoire, les solitaires déserteurs n’ont pas d’importance, ils disparaîtront sans femme ni enfant, sans mari ni amant, sans même cette pierre qui marque sur le sol l’endroit où leur corps s’est retiré. Dans la terre, ils gisent comme d’autres dans des appartements, sans histoire ni passé. (…)