10 févr. 2010

l'énigme

-- J'aimerais que tout cela s'arrête, tu comprends? Tu comprends, dis-moi? Cela fait dix mois que j'y suis dessus, marchant avec, dormant avec, mangeant, chiant, pissant avec. J'aimerais prendre des vacances de cela, j'aimerais l'oublier un peu. Quand je regarde devant, j'en vois la fin, mais quand je me retourne, je vois tout le chemin qu'il me reste à parcourir -- parce qu'une fois arrivé, il me faudra revenir en arrière -- n'est-ce pas ainsi que se tracent les chemins, un seul passage ne suffit pas, plusieurs sont nécessaires pour que ce chemin permette au promeneur d'être au plus près du monde qu'il parcourt.
-- Le chemin comme étant la peau, la fine pellicule qui sépare le promeneur du monde.
-- Me crois-tu si je te dis que ce soir, je suis las. Pourtant, il y a quelques jours, j'entrevoyais ce qu'il devait être et il était à la portée de ma main, palpable, évident. Et maintenant, tout redevient compliqué, laborieux. Tu sais très bien que je n'abandonnerai pas, tu peux me faire confiance. Mais n'ai-je pas le droit de me sentir impuissant, même si je sais que tu n'aimes pas me voir ainsi, trainant des pieds, disant que tout cela n'a pas autant d'intérêt que cela.
-- Oui, tu peux le dire. Je te le permets. Je te l'autorise. Je crois qu'en résolvant l'énigme, tu as mis, en quelque sorte, fin à tout cela.
-- J'ai le cerveau prêt à exploser. Je serais sur un divan, en analyse, ma bouche serait un corps et ma parole en serait une jouissance qui le traverserait, infiniment. C'était une belle énigme, si simple, si pure.
-- Tu n'y croyais pas vraiment lorsque tu as eu la solution. Je crois que cela t'a épuisé. Et c'est pour cela que je t'autorise à un peu d'impuissance, à un peu de repos.
-- Chouette.

La gentillesse

3 févr. 2010

Queen Jane

Certainement un jour, on te racontera la colère que j'ai pu ressentir à cette époque -- cela ne sera pas moi, cela sera une personne que je rencontrerai dans un café, et au cours de notre discussion, nous découvrirons que nous te connaissons tout deux, elle au présent et moi dans un passé qui me reviendra douloureusement par bribe, à mesure que mes souvenirs de toi referont surface. Je lui parlerai de ce jour, de cette heure, je lui raconterai des anecdotes à ton avantage, je ne pourrai cacher l'émotion gardée intacte en brossant certaines images. Je ne lui dirai pas tout, je tairai les secrets qui nous liaient alors et que je conserverai jusque dans ma tombe. Cela sera ma façon de te garder auprès de moi.
D'un air détaché, tu l'écouteras te parler de moi -- tu lui demanderas ce que je deviens, si je vais bien et ce que je fais maintenant -- notre connaissance commune brossera en quelques mots ce qu'elle sait, n'entrant pas dans les détails puisque tu n'insisteras pas réellement pour en savoir plus -- tu auras gardé cette distance qui tordait mes phrases en plaisanteries douteuses, en rires gras, en bêtises. Maintenant je me tais, tu ne m'entends plus. J'écoute cette chanson de Bob Dylan qui raconte l'histoire d'une fille appelée Queen Jane qui décide de tout arrêter, de sortir de ce système où des donneurs de leçon essayent de la convaincre de sa douleur, estimant que ses conclusions sur elle-même devraient être plus drastiques, où elle est fatiguée d'elle et de ses créations, où des scélérats auxquels elle n'a cessé de tendre l'autre joue tombent leurs masques et se plaignent d'elle -- tout ce que veut Queen Jane, c'est sortir de là et rencontrer quelqu'un auquel elle n'est pas obligée de parler. Won't you see me, Queen Jane répète Dylan, inlassablement. Non, je n'irai pas de te voir.