28 oct. 2008

Joe Matt, les pre socratiques & nous

Quelques notes rapides à propos de Joe Matt. M’est avis qu’il y a un bon article critique à écrire sur son œuvre. Grosses lignes:

- Joe Matt & la dualité Bien/Mal

- Joe Matt: la puissance & l’épuisement

1. Juger Joe Matt comme un sacré connard, c’est la première réaction que l’on pourrait avoir à la lecture de ses comics, et c’est probablement l’objectif premier recherché par l’auteur. Ceci, du moins, si l’on adopte le point de vue de la morale – le Bien, le Mal.

Cette morale, cette dualité Bien/Mal, traverse son œuvre. Elle prend racine dans son éducation catholique et n’a de cesse de le poursuivre. “Qu’est-ce que j’ai fait, je suis un monstre, etc.”, sont des phrases qui reviennent souvent dans les bulles de Joe Matt. Il n’a qu’une volonté: non pas celle de parvenir à ne faire que le Bien (un temps il croit y parvenir mais très vite, sa nature le rattrape), non pas celle de devenir un bon gars, mais d’échapper à la dualité Bien/Mal. Joe Matt s’affiche actuellement bouddhiste, et il semble avoir trouvé le chemin.

2. Joe Matt oscille constamment; il ne cesse d’aller & venir, d’aimer et de haïr; il investit et désinvestit ses relations. Son rapport à l’argent: non pas la radinerie, comme on pourrait le juger à première vue, mais l’argent perçu comme ce qu’il est réellement, une nécessité. Joe Matt est un animal et la ville est son territoire; il mange ce qu’il y a à manger, il économise ce qui est possible de l’être. On se dit, en le voyant racler les assiettes de ses amis qu’il est le type effectivement le plus rapace qui existe, et qu’il n’a surtout pas peur de se rendre ridicule. D’une part, il serait vraiment radin, il ne serait pas collectionneur-fétichiste de vieux comics, d’autre part, l’argent n’est pour lui pas un prestige, mais un moyen de subvenir. (D’ailleurs, sur ce point, on tombe sur un paradoxe: comme un type dont on dit qu’il est égocentrique pourrait se rabaisser aussi misérablement à quémander du pain, à se présenter comme étant un pauvre type.) Sa prétendue radinerie devrait plutôt nous pousser à nous interroger sur le rapport que nous entretenons avec l’argent et la société. Quel rôle donnons-nous à l’argent dans cette relation que nous avons avec la société (dans la triangulaire: moi-argent-société). Est-ce un rapport de puissance, de pouvoir, d’asservissement, …

3. Joe Matt nous fait rire parce que nous portons sur son œuvre notre regard d’occidentaux formaté bien malgré nous par le Bien, le Mal, une certaine simplification qui réduit ses oscillations à du simple binaire: 0 – 1, Bien – Mal, là c’est un bon type, ici c’est un pauvre type. On le voit courir partout, on le voit indécis, mais on ne voit pas qu’il oscille, qu’il est en mouvement continuel, qu’il n’est pas Bien, Mal, mais une variation, un mouvement.

Son dernier bouquin est très immobile; deux oscillations: l’une très faible entre “oui, non le porno”, et l’autre, narrative, entre le passé et le présent. Le reste se passe principalement dans sa chambre.

4. Son dernier livre: Epuisé (Spent en anglais, qui se traduit aussi par “depensé”). Page 10: son ami Seth veut acheter la bédé que Joe Matt a trouvé avant lui et que ce dernier ne veut pas lui céder:

Joe Matt: “C’est pas une question d’argent. Ce livre représente une période du dessin de presse à laquelle je commence tout juste à m’intéresser. Tu agis comme si je devais te PAYER un droit de passage!”.

Seth: “Tu as raison… c’est pas une question d’argent, mais de POUVOIR”.

Joe Matt: “Pouvoir ?”

Seth (mimant un billet de banque): “OUI! Ce petit morceau de pouvoir que tu t’octroies en me narguant délibérément!”

Joe Matt: “De quoi tu parles? T’es juste dingue parce que je l’ai trouvé en premier.”

Seth: “Un petit morceau de pouvoir”.

&c., &c.

Joe Matt est en décalage avec la société et nous rions de le voir se planter parce que nous ne percevons pas les codes de son univers. Son ami Seth sert de parfait avocat d’une vision manichéenne à laquelle Joe Matt s’oppose.

Seth: “Tu penses que tout le monde devrait avoir les mêmes opinions que toi et que si c’est pas le cas, ils n’ont qu’à y parvenir”. Ici, Seth cherche délibérément à faire passer Joe Matt pour un tyran alors même que Seth ne cesse de défendre une vision normative, moraliste.

Nous retrouvons ici une situation qu’on retrouve aussi dans Curb your enthusiasm.

&c., &c.

5. Elever Joe Matt au rang des cyniques pré-socratiques ? Pourquoi pas!

20 oct. 2008

opening

1. Les quelques notes sifflées par un type dans la rue sont aussi importantes que Faulkner.

2. Rien.

3. Fatigue sur Damiens, à essayer de comprendre ce qu’il n’y a pas vraiment à comprendre. Doute, nullité, merde, &c., manque de flow, &c.

4.

5. RIen.

19 oct. 2008

videoclub

1 A l’époque, il y avait le vidéoclub de la rue de la Colombette; vous vouliez voir/revoir un Hawks, un Cassavetes, vous y alliez, ils étaient toujours disponibles – rayon du bas, sous la poussière.

2. Elle est là à vos côtés, quand vous marchez dans ces ruelles bondées d’amies, d’ivrognes chevrotants criant à la volée, elle vous suit là dans les cafés, dans les librairies, dans l’obscurité des salles de cinéma, près de vous elle est cet espace qui sépare votre coude de celui de votre voisin, dans les parcs elle est le silence croisé avec les chiens errants, elle vous entoure à la transparence des aurores mais la plupart du temps vous ne la voyez pas, vous ne l’éprouvez pas, bien qu’elle soit toujours ici, délimitant sans entrée possible votre territoire de paroles, d’actes, de gestes menaçants de la main, d’accolades franches. Et dans les théâtres où l’on applaudit en cœur, elle se terre au creux des strapontins, dans ce fauteuil où vous lisez un livre, parmi ces foules où vous scandez des chants grossiers, elle est toujours ici et s’évanouit parfois au temps des confidences. Elle se faufile comme votre ombre partout où vous allez et elle est d’autant plus à vos côtés quand dans le lieu où vous êtes vous n’y êtes pas réellement, elle vous suit ainsi partout, dans les couloirs de l’immeuble où vous travaillez et ceci jusque dans votre lit, insidieuse et permanente, muette à la démarche légère mais aux bras vigoureux à l’enlacée, invisible à celui qui ne veut pas la voir, mais ne pas la voir c’est déjà connaître son existence, et lorsqu’elle vous apparaît c’est alors dans le fracas d’une déchirure, votre corps se resserre soudainement sur vous, à l’étroitesse de vos mouvements, de votre liberté mesurée et apparente, et sa densité est telle que vos membres alors fléchissent, vos jambes lourdes traînent et lasses suivent la procession des esclaves, pris dans l’étau de cette carapace où vos bras s’ankylosent, où votre buste se rétracte étouffant toute respiration, comme un virus elle vous fige en un corps malade et tordu. Alors examinant l’épiderme de votre existence, vous cherchez le rouge de l’incision, voir la plaie c’est déjà donner du sens à la douleur, mais vos doigts tâtent et ne sentent ni tracés de lame ni nodules de lymphe, et pourtant elle est là et vous pèse sans explication, vous êtes ici réduit au confiné, au vétuste de votre parole, de vos gestes devenus trop courts pour se tendre, se détendre, votre voix devient tranchante et monocorde, simple actrice d’un sourire qui s’épuise dans une grimace, elle vous pèse et malgré vos mouvements amples et respectueux vous ne pouvez vous en défaire, lentement elle s’insinue en vous n’offrant aucune aspérité, aucun passage pour des corps extérieurs, pour des mots ou des attentions, tous gestes à votre égard sont alors perçus comme une ironie tranchante, vous êtes devenu une éponge sèche qui n’a plus son onctueux pour les eaux fraîches, d’un sentiment elle devient une émotion froide qui vous immobilise, non pas une pesanteur omniprésente mais un regard sans cesse porté à vous-même, vous devenez deux obsessionnellement, comme deux miroirs réfléchissant à l’infini votre présence sous tous les angles de cette

3. (j’avais 16-17 ans, et j’étais allé voir Opening night de Cassavetes, au ciné-club de la ville)

4.

                                                      existence prise dans l’étau de la solitude. Vous devenez votre propre geôlier, terrible et cynique dans ses observations, connaissant par avance vos erreurs, vos faiblesses qui vous ont conduit à reconnaître cette présence qui à présent vous enlace gluante à l’étreinte, pris dans des bras éprouvants et tâtant vos ekymoses, une voix qui vous martèle votre insuffisance, l’inconcevable de votre existence, vous réduisant par caresses appuyées à un corps las et inutile, et vous marchez sans but et sans ressource à travers ces paysages où votre ombre se détache des lumières étoilées, dans ces recoins humides où la poussière devient collante et poisseuse, pelotes de cils et de poils pubiens, d’épidermes mortes et d’ongles rouges cassés sans douleur, et plus rien ne vous pousse, vous seriez un bateau vous iriez sur une mer sans vent où les courants vous mèneraient incontrôlable, dérivant sans référence comme ces pelotes de poussière vont s’éteindre dans les endroits insalubres au regard des sociétés closes sur elles-mêmes, sourdes aux rumeurs des orages du silence, sans tonnerre ni éclat.

Alors lentement vous vous habituez à marcher, non plus après des possibles qui exploseraient cette raideur et vous remettraient dans le réseau, redevenant dès lors un nœud, un croisement de relations, vous même rendus à devoir émettre et recevoir à nouveau, à tendre des bras vers d’autres bras, des lèvres vers des peaux qui n’ont pas le cuirassé des coques solitaires, de prononcer des paroles sans équivoque et spirituelles, compréhensibles par tous à l’humour facile et léger, loin de ces macérations vicieuses et solitaires qui réduisent par autodévoration les amours propres en absence, mais vous ne marchez plus à la poursuite de quelqu’un, de quelque chose, votre dessein est de vous faire à cette nouvelle démarche comme les élégants font les chaussures neuves en cuir trop dur qui cisaillent les chevilles et racornissent les orteils, à ces habits amidonnés de ferraille à la froideur des lézards, lentement vos articulations se paralysent en fil de fer rouillé, loin de la souplesse que vous aviez connu alors, quand il fallait encore courir et se plier à des convenus pour ne pas sombrer dans la paralysie comme vous l’êtes à présent. A la vue de ce danger qui vous entoure maintenant, votre regard prend alors une confiance curieuse, lucide il examine vos possibilités d’échapper à cette faille, lucide vous déployez des stratégies, des solutions de survie, comment se détacher de cette émotion poisseuse, qui vous enlaidit à vous-même, qui déforme votre reflet dans les miroirs et courbe votre dos, vous isole finalement de tous et vous enferme dans ce territoire réservé depuis longtemps à d’autres hommes, à d’autres femmes, qui vous regardent là les rejoindre, le sourire tendre et sans moyen, vous saluant d’une poignet de la main, de baisers prudents sur

5.  (un peu plus tard, je l’avais revu et je n’avais pas compris l’attachement que j’avais ressenti la première fois – je comprends à peine pourquoi je n’avais pas compris cet attachement – on s’écarte de ce que l’on est et puis on y revient, par défaut d’exister autrement)

6. Rien.

7. Rien.

8. John Coltrane, Complete Impulse! studio recordings vol. 7

9. John Cassavetes.

12 oct. 2008

80 pour 100

Règle de projet: sachant que ce sont les derniers 20% qui sont les plus chronophages – mises au point, fignolages, relectures, doutes idiots quant au contenu (“mais c’est quoi, c'est nul, je suis une merde, &c.”), autant s’arrêter là avant de devenir vraiment dingue.

faire le buzz (ou de la place de l’artiste comme agent publicitaire)

1. Faire le “buzz”.

2. J’écrivais cette phrase: “mais le plus important n’est pas comment on mène sa vie, mais comment on en parle”, et je me suis arrêté, parce que si cela ne pouvait pas sortir de la bouche de mon personnage – en raison de sa nature –, cela ne pouvait vraiment pas sortir de la mienne.

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(Night moves, Arthur Penn)

3. C’est souvent à son corps défendant qu’on fait le buzz de sa vie. “On a passé des vacances incroyables”, “tu te souviens de ce concert en 1976, c’était vraiment punk, vraiment wild”, “moi j’ai fait des trucs de ‘ouf dans ma vie, tu peux pas savoir” – où comment on se retrouve avec une bande de guignols à-la-Eudeline qui nous refont l’histoire du punk, et qu’on lit, bavant d’intérêts et un peu de jalousie (du moins c’est l’effet voulu) pour ces hommes qui semblent avoir vécu & fait l’Histoire (<parenthèse>: je ne fais pas ici une lubie sur Eudeline, il est juste l’une de ces personnes qui ont vécu, certes des choses, mais qui en déroulent tant de verbiages qu’on a l’impression d'entendre Ulysse de retour à Ithaque ou un survivant de la bataille de Stalingrad </parenthèse>) – et la liste est longue, le net (et les réseaux sociaux en particulier) pullule d’une quantité invraisemblable de bonimenteurs – puisque de l’exposition de son travail (légitime, rendu plus simple grâce au net), on passe à la justification de son travail (déjà douteuse, moi je fais ça parce que j’ai ça à dire) et puis à sa glorification (“achetez mon poisson, c’est le meilleur” s’ébroue la marchande,”pour ces deux magnifiques porcelaines de biches, je vous offre, non pas seulement deux services à thé mais aussi ce magnifique napperon”), laquelle s’appuie évidemment sur le grossissement de détails les plus extraordinaires, comme s’ils étaient toute une vie, comme s’ils allaient trouver une place principale dans une biographie posthume.

3b. S’inventer une légende et s’y immiscer, dans l’idée qu’elle persévéra au-delà de la mort – puisqu’il me semble que cela soit ici le cœur du problème.

3c. Rédiger des slogans pour mieux se vendre.

3d. Autobiographie en carton pour existence à découper selon les pointillés.

4. Les deux temps du voyage: a.) le voyage, b.) le récit du voyage.

5. L’invention du voyage organisé a tout autant contribué à voyager-sain qu’à faciliter le récit des voyages – puisque le voyage est par avance écrit dans la brochure. D’ailleurs, je soupçonne que cela soit même la première raison pour laquelle ils ont été inventés.

11 oct. 2008

Spinoza, son poisson et nous

1. “Cela est tout aussi insensé que si un poisson, pour qui nulle vie n’est possible hors de l’eau, disait: si nulle vie éternelle ne suit pour moi cette vie dans l’eau, je veux sortir de l’eau pour aller sur terre; que peuvent dire d’autre ceux qui ne connaissent pas Dieu ?”

(Spinoza, Court traité)

2. “D’abord, à propos des pseudo-philosophes, pour qui penser signifie moraliser: “Ils ont appris à louer sur tous les tons, une nature humaine qui n’existe nulle part, et à harceler par leurs discours celle qui existe réellement.” Or projeter une nature humaine fictive revient à extraire l’homme de la nature: “Ils conçoivent l’homme dans la nature comme un empire dans un empire.” Le lien avec la tendance du vulgus à vivre dans un autre élément que dans le sien est évident: extraire l’homme de la nature, c’est sortir le poisson de l’eau. On lui prête une puissance qu’il n’a pas (maîtriser immédiatement ses passions, vivre sur terre), on ignore sa véritable puissance (comprendre par les causes, opérer dans l’eau). Non pas que la Nature en général soit un élément, mais il est fait abstraction du rapport entre une nature particulière et l’élément qui lui convient. Traiter une chose extra naturam, c’est évacuer la question de l’élément, et par conséquent, des limites tant positives que négatives d’une nature. D’un côté (le vulgus), l’autre nature est simplement celle en fonction de laquelle l’homme passif mène sa vie; de l’autre (le philosophe moraliste), l’autre nature est ce qui permet de condamner la passivité comme un choix vicieux, contre-nature. Spinoza établit lui-même le rapport: ces moralistes, “ils se représentent les hommes non pas tels qu’ils sont, mais tels qu’eux-mêmes voudraient qu’ils fussent”. Autrement dit, cette attitude leur est dictée par l’inadéquation de leurs idées, et nous en apprend plus sur eux que sur l’objet qu’ils prétendent étudier.

C’est tout un, de s’abandonner à un autre élément que le nôtre, et de passer sous silence la question de l’élément. Il est entendu que nous autres poissons employons tous nos efforts à ce jeu dangereux qui consiste à essayer de vivre sur terre, sans nous en rendre compte; mais certains d’entre nous ne voient pas non plus qu’en haïssant ce jeu, ils vont encore plus loin dans l’affirmation de cette terre, en développant la conception abstraite d’un poisson impérial, n’impliquant pas l’eau. Ils croient cesser d’adorer la terre en ne pensant plus aux éléments, mais ils s’empêchent ainsi d’affirmer l’eau (il leur manque d’en avoir joui, de savoir jouir de leur propre nature, en quelque sorte). Spinoza dit bien que la politique de ces moralistes ne peut être qu’une “chimère”, c’est-à-dire le cumul improbable et impuissant de deux essences dans une nature qui enveloppe une contradiction: ils affirment un homme qui n’en est pas un, ils proposent des remèdes adaptés à un être qui n’existe pas et qui, s’il existait, n’en aurait pas besoin.”

(Zourabichvili, Le conservatisme paradoxal de Spinoza)

3. “(…) ils affirment un homme qui n’en est pas un, ils proposent des remèdes adaptés à un être qui n’existe pas et qui, s’il existait, n’en aurait pas besoin.”

4. ?

10 oct. 2008

entre les lignes

1. Écrire sur la plénitude, écrire sur le besoin de (la) plénitude, écrire comme l'on s'allonge sur l'herbe,

2. (un réseau n'est pas seulement composé des fils et des points que ces fils relient, mais aussi des espaces qu'il y a entre ces fils et ces points)

3. Au bord des quatre-voies, entre deux rond-points, il y a de l'herbe -- des oiseaux s'y posent, et aussi un mégot de cigarette lancé de part la vitre d'une voiture.

4. Ne pas comprendre ce qui s'écrit. Écrire les phrases qui n'existent pas encore. Envisager l'histoire sous d'autres rapports. Faire apparaître les histoires qu'il y avait autour de cette histoire, comme on écrit les phrases qui n'existaient pas encore.

5. Alors les histoires se connectent, s'entrecroisent, tissent un réseau -- des fils, des points --, et chercher au milieu, dans ces espaces aveugles, autre chose (un nouveau point, inédit, vierge et donc sans définition), que l'on ne comprendra pas mais que l'on écrira -- comme dans les dictionnaires où ne figurent pas tous les mots; "le français comptent beaucoup de mots, mais certainement pas assez pour combler le silence qui nous liait" -- des mots que l'on invente.

5 oct. 2008

en attendant

1. L’un des points remarquables de Facebook est la rigidité de son design: tous les utilisateurs ont la même interface (web 2.0) – loin de celle de MySpace, qui permet des fantaisies plus ou moins de bon goût. Sur Facebook, tout le monde est égaux face au moyen mis à la disposition pour exprimer son moi profond (sic): ajouter ou non une application. Si MySpace est le terrain propice à la “créativité”, Facebook est strictement fonctionnel.

2. Facebook, c’est le retour d’une rigueur post-communiste ou, vu sous un autre angle temporel, on peut dire que l’ère soviétique a été une ère proto-Facebook. Dans l’idée où le soviétisme stalinien était marquée par l’immiscion de l’Etat dans la vie privée, et en sachant que Facebook est le lieu même où l’on expose sa vie privée, l’idée de filer la métaphore est plaisante.

3. Sur Facebook, les riches (et comme nous sommes fonctionnels, nous nommons par riches, les gens ayant un haut-rang social & financier) y viennent parce que c’est jeune et frais sans être vulgaire – très ligne claire –, les pauvres y viennent parce que c’est jeune et frais sans être vulgaire. On s’y retrouve comme l’on se retrouve tous à Ikea ou à H&M.

4. Un type à la radio s’étonnait de ne pas avoir à s’étonner que le président du Sénat français venait de refuser l’appartement qu’un “privilège” lui offrait à vie – son argumentation tenant sur la puissance des médias en tant qu’œil critique de la société, comme police de la moralité de la société. Le type poursuivait en haussant la voix comme tout bon éditorialiste: “il ne faut pas que ces gens-là, qui touchent des millions en parachutes dorés, croient qu’ils vont pouvoir s’en sortir comme ça!” Alors voilà les médias comme caisse de résonance de la vox populi, etc., mais ce n’est pas le propos.

3. Ikea/H&M est suédois et la Suède est le modèle économico-social en devenir référentiel des sociétés occidentales; là-bas, les politiciens prennent le bus pour se rendre au travail, un député qui prend le taxi en douce peut se voir mis à l’amende, voire débarqué.

4. Métro, le journal d’information gratuit qui permet à des milliers de bûcherons d’abattre tous les jours quelques terrains de football de forêts, est suédois.

5. Je ne sais pas si les députés et les grands patrons qui touchent des parachutes dorés lisent ou non Métro, et donc, je ne sais pas si c’est Métro qui fait office de grand bâton de la culpabilité -- “chéri, je vais refuser cet appartement, j’ai encore lu Métro, et je n’en puis plus de toute cette pression – Reprends encore un croissant, tu es chagrin ce matin”.

6. Le plus pénible à vivre dans un open-space où il y a votre chef de projet, c’est certes de l’avoir tout le temps sur le dos hiérarchiquement, mais c’est surtout de devoir supporter son travail – téléphone continuel, réunions improvisées à vos côtés avec d’autres chefs de projet, bruits inhérents à sa fonction – une gestion de l’effort différent qui demeure incompatible avec la vôtre. Un architecte ne travaille pas à côté de la bétonneuse, le maçon ne travaille pas à côté de la personne qui va vendre l’appartement.

7. L’open-space est une chimère démocratique.

(…)

4 oct. 2008

Notes de lecture

A propos de la mort. Spinoza, Ethique IV, prop. XXXIX, scolie -- à partir duquel François Zourabichvili écrit: “progresser, c’est plus profondément apprendre à se conserver; et l’œuvre de conservation est constamment en bute à la question de la transformation”, tout son bouquin Le conservatisme paradoxal de Spinoza reposant sur ce scolie – et dont la lecture des premières pages me plonge dans une profond sentiment d’ici-maintenant – connecté comme nous disons.

On expliquera dans la cinquième partie jusqu'à quel point tout cela peut nuire au corps ou lui être utile. Je ferai seulement remarquer ici que j'entends par la mort du corps humain une disposition nouvelle de ses parties, par laquelle elles ont à l'égard les unes des autres de nouveaux rapports de mouvement et de repos ; car je n'ose pas nier que le corps humain ne puisse, en conservant la circulation du sang et les autres conditions ou signes de la vie, revêtir une nature très différente de la sienne. Je n'ai en effet aucune raison qui me force à établir que le corps ne meurt pas s'il n'est changé en cadavre, l'expérience paraissant même nous persuader le contraire. Il arrive quelquefois à un homme de subir de tels changements qu'on ne peut guère dire qu'il soit le même homme. J'ai entendu conter d'un poète espagnol qu'ayant été atteint d'une maladie, il resta, quoique guéri, dans un oubli si profond de sa vie passée qu'il ne reconnaissait pas pour siennes les fables et les tragédies qu'il avait composées ; et certes on aurait pu le considérer comme un enfant adulte, s'il n'avait gardé souvenir de sa langue maternelle. Cela paraît-il incroyable ? Que dire alors des enfants ? Un homme d'un âge avancé n'a-t-il pas une nature si différente de celle de l'enfant qu'il ne pourrait se persuader qu'il a été enfant, si l'expérience et l'induction ne lui en donnaient l'assurance ? Mais pour ne pas donner sujet aux esprits superstitieux de soulever d'autres questions, j'aime mieux n'en pas dire davantage.

1 oct. 2008

maintenant

1. Maintenant ma jeunesse est passée et au dehors, la foule s’amasse toujours autour d’un échafaud.

2. Le plus difficile n’est pas de raconter une histoire, mais de savoir quelle histoire on raconte – et de se demander, finalement, si raconter une histoire est aussi important que cela pour ce que l’on a à dire. Proust courait après le temps perdu, Joyce se contentait d’un 15 juin. Ce qui se dit, n’a pas de début ni de fin, n’entre pas dans une durée vraiment définie. Définir un début et une fin, marque un territoire – et Proust, Joyce, Faulkner, nous ont appris que cela n’avait pas vraiment d’importance, ce début et cette fin, puisqu’il n’y a pas d’histoire mais des histoires (ça me rappelle ce début de Histoire(s) du cinéma de Godard, où il parle des histoires du cinéma) – des histoires que les personnages traversent, en biais, de front ou de dos. Rares sont les héros, les figures (Ulysse, Médée, McBeth, …), nos personnages sont la plus part du temps des gens qui traversent le temps, en bon humain. On choisit l’un deux et l’on s’en sert pour notre récit principal, parce qu’il faut bien raconter quelque chose, tout de même, bien commencer par quelque part.

3. Melville parlait de l’éléphant pour nommer le personnage fondamental d’une histoire – lequel n’est pas nécessairement le plus présent (ex. Kurtz d’Au cœur des ténèbres) – c’est celui qui est tapi dans le fond – les autres sont là que pour la forme.

4. Rien.