9 févr. 2011

Qui se torture l'esprit

"Qui se torture l'esprit pour sublimer sa conduite, s'écarte du monde et a des habitudes excentriques, se fait une haute opinion de lui-même et dénigre les autres, celui-là n'a que de l'orgueil. Il n'est qu'ermite des monts et des vallées, homme qui condamne le monde. Tel est l'idéal de ceux qui aspirent à se dessécher par ascèse et à se jeter dans le gouffre."
Tchouang-Tseu.

I was cold but the sky was full of music

Die Zweite Heimat

7 févr. 2011

Note de note

A la réécoute, une fois de plus par le plus grand des hasards, de Bye Bye Pride des Go-betweens, est revenue cette note écrite dans le journal de bord du bouquin. Un an plus tard, à trois semaines près.

12/01/2010
J'écoute les Go-Betweens qui me replongent dans mes 17 ans -- j'ai pris le disque au hasard hier soir. J'aime beaucoup la chanson Bye Bye Pride. Elle est très simple, presque piètre mais la générosité qui en sort l'emporte au-dessus du lot de toutes ces chansons pop écrites sur trois accords. Comme cela faisait très longtemps que je ne l'avais pas écoutée, j'avais oublié la mélodie finale -- j'avais seulement gardé le souvenir du frisson qui me traversait à 17 ans, quand la chanson se finissait -- j'avais oublié la mélodie mais pas le sentiment de légéreté. Une légéreté déchirante. Ca me rend nostalgique, un peu triste -- et d'un autre côté, je me dis -- comme à l'époque -- que je dois faire quelque chose de tout cela. L'un de deux leaders est mort dans son sommeil, à 48 ans.
Hier soir, je suis revenu à pied du taï-chi. Je suis passé sur le pont et je n'avais plus le vertige. Quelque chose a bougé, une fois de plus, une colère comme une boule de poils que j'ai avalée -- pour laisser la place à une autre grossir jusqu'à ce que je l'ingurgite, encore. On ne fait que ça, avaler des boules de poils.
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Tu ne diras rien. Tu n'écriras même pas une lettre d'amour. Tu te tairas. Tu garderas ton mensonge, tu voudras qu'il te sauve, qu'il te reconnaisse comme un monstre, une idole -- toutes les idoles sont des monstres, et la Nature les a jugé inacceptables et les a donc rejetés. Alors ils sont devenus des dieux. Dans le jardin des dieux.
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(A l'époque, des chansons de Go-betweens, tout le monde préférait celles de Robert Forster -- et moi secrètement, je préférais celles de Grant McLennan, moins torturées, plus émouvantes. C'était le Paul du groupe, et personne n'ose avouer qu'il préfère Paul à John. En lisant sa biographie, je découvre que nous sommes nés le même jour.)



2 févr. 2011

GYBE - 20 mai 2003

Ils sont tous là, Godspeed You! Black Emperor. Sur la toile blanche tirée derrière eux, le mot « Hope » apparaît frétillant sur une pellicule où des usines crachotent une toux acide, et l'un des guitaristes égrène des arpèges tintinnabulants, traçant les lignes d'un croquis, d'un schéma, et la violoniste remplit les interstices de longues notes qu'elle répète inlassablement, suivie par la violoncelliste qui soutient l'ensemble, puis un autre guitariste perfectionne le canevas qui instrument après instrument se resserre, prend du volume, et le spectateur aux jambes déjà engourdies se retrouve pris sans qu'il ne s'en soit réellement rendu compte, dans une déferlante de sons, de feedbacks, soutenu par des percussions primales, lentes et lourdes, et les vagues arrivent et repartent, les murs tremblent, et les neuf musiciens sur scène restent figés sur leurs instruments, les triturant jusqu'à produire non pas du bruit blanc mais du son gris, une pâte épaisse comme l’on pourrait dire d’une peinture à l'huile, de tableaux, pas du Pollock, mais de Staël, du son gris à l'image de la fumée projetée, et en volutes les nappes déferlent les unes après les autres, et le spectateur peut malgré tout entendre la dentelle produite par tel guitariste, saisir les nuances de jeu de la violoncelliste qui à présent joue debout, collée au retour, et le tempo soudain se déchire, libérant un espace où les vagues s'éloignent par écho, le peintre retire de sa toile les traits un à un après l'avoir surchargé jusqu'à rendre illisible sa représentation, et le fond réapparaît mate, noirâtre, la fumée sort toujours des cheminées, le spectateur est épuisé, un temps de repos durant lequel le canevas se desserre, se relâche, puis les neuf musiciens reviennent à l'assaut, un nouvel angle s'ouvre, une disposition prend forme, et la grille se resserre à nouveau dense, étroite, emportant le spectateur dans une autre déferlante, les deux basses vrombissent, et le rythme est lourd et pesant, puis les masses sonores s'apaisent à nouveau jusqu'à se taire totalement, les cheminées ont laissé place à des rues où s'égarent des passants, et ce n'est que le premier morceau des six ou sept autres qui vont se succéder durant ces presque trois heures de concert sans parole, à la limite de l'autisme, tendu, intérieur comme ces rages sourdes qui ne s'expriment plus que par le regard, parce qu'au pied du mur.