14 août 2005

caféine

1. Comme s'il n'y avait pas d'autre solution pour écrire que d'être sous tension, concentré sur le point qui s'ouvre et déverse en bloc tout ce qui n'avait pas été prévu sur le plan de travail -- alors concentré, délier les ramifications, les mettre en marge -- sous le coude -- et s'énerver sur un stylo qui n'écrit plus qu'en pointillé, asséché.

2. Relecture de Lumière d'août. Le rapprochement de la fiction et du fait divers est étonnant. "Il faudrait y mettre le feu, ça prendrait mieux avec de la graisse humaine." (approx.)

3. Relancer les envois; ne pas lâcher le morceau.

4. Ai rêvé de la série des lapins de David Lynch, dont je n'ai vu aucun des épisodes; mais je garde d'agréables souvenirs des épisodes vus la nuit dernière (l'idée centrale -- que je m'en fais -- serait celle du double-bind).

5. Ai rêvé aussi de ..., dans lequel nous faisions du vélo: nous étions sur des étranges machines, des bicyclettes-jumelles, sur lesquelles nous pédalions tour à tour, et j'avais l'agréable sensation, bien que je pédalai dans le vide -- à vide --, de faire avancer notre machine; la paume de sa main recouvrait ma main, ses doigts dans le creux des miens, comme lorsque l'on compare la taille de nos mains et s'enlacent l'une à l'autre. Peut-être n'était-ce pas la première fois que je rêvais d'elle, mais c'était la première fois que je réalisais que cela serait une bonne idée si -- ces espèces de bonnes idées qui ne semblent être que de l'évidence -- qui tombent sous le sens, qui ne sont que du bon sens.

5. Lutter contre la dictature du "il faut".

S'ériger en maître de soi, dominer la dictature que l'on s'impose. La dictature selon laquelle (analyse de ma soeur) on tue l'envie, le désir en faisant l'objet [du désir] une corvée, une épreuve. J'ai envie de ça, de faire ça, de faire ci. L'amener à ce que faire ci, faire ça, devienne une obligation qui répondrait à ce "il faut". Alors qu'il n'y a pas d'obligation dans le désir, celui-ci ne répond à aucune loi d'ordre -- la seule règle qui s'impose dans le désir est celle d'avoir du plaisir, de la satisfaction. En faisant passer l'objet du désir à un objet d'épreuve -- il me faut ça, il me faut faire ça, ci (dans le cas actuel: il faut que j'écrive deux chapitres par mois, ce qui est ridicule, il n'y a pas d'obligation à écrire, il n'y a pas d'arme pointée sur la tempe (et s'il y en avait une, cela serait moi qui la pointerais), il n'y a que du désir à voir écrits deux chapitres par mois afin d'avoir le désir de voir fini avant la fin de l'année un premier jet, pour être ouvertement content de voir ce que ça donne --,

en déplacant l'objet du champ du désir au champ de l'épreuve, le sujet (moi en l'occurence) ne devient plus un sujet désirant, qui pourrait se réaliser en réalisant ce désir, mais un sujet mis face à lui-même, face à ses capacités et ses incapacités, face à ses impuissances -- dans le cas échéant. D'où l'abandon de nombreux projets puisque ceux-ci ont été déplacés du champ du désir pour être placé dans le champ de l'épreuve. Déplacer l'objet du champ du désir dans le champ de l'épreuve, c'est avorter toute idée de plaisir. Une épreuve réussie ne procure comme émotion au mieux qu'un soulagement, au pire le dégoût d'avoir perdu son temps pour arriver à ça, le fruit d'une besogne; dans un aucun cas, il ne s'agira de satisfaction.

(En passant du champ du désir au champ de l'épreuve, il y a passage du sentiment de puissance à celui de pouvoir. Dans l'épreuve, on peut, on a le pouvoir; dans le désir, on veut, on a la volonté. Babioles au demeurant nietzschèennes, mais qui semblent tomber sous le sens, finalement.)

Alors l'envie, la besogne & la volonté.

L'objet une fois déplacé dans le champ de l'épreuve, les forces à mettre en oeuvre pour l'atteindre tiennent le plus souvent de la besogne que du plaisir. Ce n'est que du bien faire, du faire "mieux que mieux que ce qu'il est", de la besogne dégoûtante que l'on s'impose sans péril, sans liberté, sans grâce, ce travail cyclique et répétitif où le plaisir n'est que celui du monomaniaque, du Sisyphe. Il y a d'ailleurs dans ces manoeuvres onanistes pour "bien-faire" un étrange rapport au monde, à l'entour. On (se) bricole la machine dans l'espoir que cela satisfera (l'entour), le plaisir n'est éprouvé que par procuration. En bidouillant ça comme ça, ça devrait plaire -- même si ceci ne se dit jamais ouvertement, il y a souvent dans la phase monomaniaque du projet cette idée qui traîne, comme une tentative d'ouverture au monde, d'idée d'être sur la place publique, où l'objet devient totalement une épreuve -- "ça doit plaire, faisons des concessions" --, alors qu'aux yeux du sujet, il est un pur objet de désir, qu'il bichonne besogneusement. Ici, dans l'imaginaire de l'exposition sur la place publique, le désir n'est plus l'objet, mais ce qu'il provoquera sur l'entour. Nous sommes ici hors-sujet de l'idée originale, qui n'était que d'avoir envie de faire quelque chose, du désir très personnel de faire quelque chose, pour se satisfaire très personnellement, sans moralité, sans ambiguité, sans honte.

(Je souris maintenant au souvenir de ce que j'écrivais, il y a des années, sur la volonté, que j'écrivais sans réellement avoir conscience de ce que cela représentait, et dont je prends conscience de ce que cela entraîne. C'est d'autant plus intriguant que cela n'a abouti qu'à un nième projet avorté parce que pétrifié à l'idée qu'il était insurmontable.

Je n'ai de volonté ni celle de faire, ni celle de devenir et en accord avec cette dernière ni celle d'aimer, de manger, ni même celle de mourir. Sans désir de développer au devant de ma personne une étendue de possibilités au travers lesquelles je pourrais y déployer une nouvelle existence, je n'existe au regard du monde qu'en suspens, comme un doigt longeant sans la toucher une main qui n'appartiendrait pas au même corps. N’ayant plus que pour seul souhait d’en tracer les courbes, d’en mesurer les contours, avec la pudique circonspection d’un sculpteur au regard de son modèle, le doigt en suspens prolongerait chaque mouvement de cette main, s’attachant à ne pas la toucher, en tournoyant tout autour avec l’agilité frileuse d’une abeille à l’approche d’un fruit rouge. La main se laisserait subjuguer prise inexorablement dans les volutes décrites par le doigt se déplaçant par onde le long des phalanges, s’immisçant à l’intérieur de la main jusqu’à trouver refuge au creux de la paume, une paume ouverte comme un atlas offrant en lecture des lignes se coupant les unes aux autres sur lesquelles il poursuivrait sa danse. Offertes en lecture, les lignes sont les plis d’un exercice d’origami, une main devenant un poing, au sein duquel il s’en échapperait comme du sable filant entre les doigts, en laissant pour seule trace sur l’épiderme de sa geôle la vague chaleur d’un contact sans pour autant lui donner le temps d’en connaître la contenance. Repliée sur elle-même, la main se délierait en quête du doigt fugitif mais rien ne pourrait le retenir à aller ici et là, à se promener autour, à se délecter de ne faire qu’effleurer, que d’embrasser la limite de la retenue sans jamais réellement l’atteindre. Parfois par accident, puisque tout comme le silence est une parole qui requière la plus grande des circonspections l’effleurement demande infiniment plus de tact qu’une caresse, le doigt toucherait par mésaventure la peau, mais par rebond s’en écarterait aussitôt ; connaître par piqûre le contact de l’autre épiderme lui suffirait à s’en séparer craignant de s’y consumer, de se fondre en elle et d’y être absorbé à jamais comme un corps par une foule.



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