Ils sont tous là, Godspeed You! Black Emperor. Sur la toile blanche tirée derrière eux, le mot « Hope » apparaît frétillant sur une pellicule où des usines crachotent une toux acide, et l'un des guitaristes égrène des arpèges tintinnabulants, traçant les lignes d'un croquis, d'un schéma, et la violoniste remplit les interstices de longues notes qu'elle répète inlassablement, suivie par la violoncelliste qui soutient l'ensemble, puis un autre guitariste perfectionne le canevas qui instrument après instrument se resserre, prend du volume, et le spectateur aux jambes déjà engourdies se retrouve pris sans qu'il ne s'en soit réellement rendu compte, dans une déferlante de sons, de feedbacks, soutenu par des percussions primales, lentes et lourdes, et les vagues arrivent et repartent, les murs tremblent, et les neuf musiciens sur scène restent figés sur leurs instruments, les triturant jusqu'à produire non pas du bruit blanc mais du son gris, une pâte épaisse comme l’on pourrait dire d’une peinture à l'huile, de tableaux, pas du Pollock, mais de Staël, du son gris à l'image de la fumée projetée, et en volutes les nappes déferlent les unes après les autres, et le spectateur peut malgré tout entendre la dentelle produite par tel guitariste, saisir les nuances de jeu de la violoncelliste qui à présent joue debout, collée au retour, et le tempo soudain se déchire, libérant un espace où les vagues s'éloignent par écho, le peintre retire de sa toile les traits un à un après l'avoir surchargé jusqu'à rendre illisible sa représentation, et le fond réapparaît mate, noirâtre, la fumée sort toujours des cheminées, le spectateur est épuisé, un temps de repos durant lequel le canevas se desserre, se relâche, puis les neuf musiciens reviennent à l'assaut, un nouvel angle s'ouvre, une disposition prend forme, et la grille se resserre à nouveau dense, étroite, emportant le spectateur dans une autre déferlante, les deux basses vrombissent, et le rythme est lourd et pesant, puis les masses sonores s'apaisent à nouveau jusqu'à se taire totalement, les cheminées ont laissé place à des rues où s'égarent des passants, et ce n'est que le premier morceau des six ou sept autres qui vont se succéder durant ces presque trois heures de concert sans parole, à la limite de l'autisme, tendu, intérieur comme ces rages sourdes qui ne s'expriment plus que par le regard, parce qu'au pied du mur.