3 mars 2009
La promesse du monde - "Longtemps, je me suis couché de bonne heure."
Moi dans le monde, j'étais une promesse. J'avais douze ans, quinze ans, j'en ai soixante-quatre, j'en aurai cinq, je suis en guerre contre le monde, mon père est slave, ma mère est noire et la terre d'Afrique est rouge, mon oncle est un fasciste, ma sœur a connu l'amour dans le lit de mille hommes, je suis une petite fille, j'ai acheté un jour un livre que j'aurais pu voler, mon pays est sans frontière et je n'ai pas d'âge, autour de moi le monde est une forêt, est une ville sans fin que l'on traverse en dix pas seulement, la lumière est invisible mais elle colore d'un halo le regard aux paupières closes, le silence de mon lit quand tu dors à mes côtés, tu étais chinoise, je suis indien, nous avons fait la révolution mais ce n'était pas suffisant, je t'ai embrassée comme mon père a embrassé ma mère un soir d'août, dans une petite cabane sur les rives de l'Euphrate, nous portions nos habits de fête faute de mieux, quand grand-père est mort l'Homme a marché sur la lune, tu as prié pour moi et j'ai cru en Dieu et ensuite j'ai prié pour Toi, maintenant nous sommes seuls et certainement bienheureux, finalement ainsi tout débute, puisque nous sommes des témoins, avant nous, après nous, ainsi sans cesse, ainsi des histoires, des lieux, des temps, des modes, des variations infinies comme chaque vague a sa singularité qui la distingue des autres vagues qui forment toutes les mers, l'océan antique sur lequel les navigateurs ont croisé Ulysse, les pirates et les porte-avions américains en ligne de mire des kamikazes japonais, nous ferons nous aussi la guerre, et si ce n'est pas dans ce monde que cette vieille fille écrit en secret dans une maison non loin de chez moi, cela sera ailleurs, c'est-à-dire toujours ici, malgré les distances, les panneaux indicateurs, les voyages qu'il faut faire pour voir jusqu'où cela s'arrête, et toi tu courras quand tu me verras, tu t'enfuis toujours ainsi sans raison valable à mes yeux, un jour tu cesseras de courir, fixe en un point qui sera au croisement de deux lignes, ton doigt tendu indiquera le nord, les yeux mi-clos face au soleil, comme face à la mort, mi-clos, sans répit, sans douleur, sans souvenir, sans histoire, le nouveau-né que je fus, face à la mort une première fois ("nique-la avais-je dû entendre -- et je l'ai niquée une première fois") -- comme la promesse du monde se terre dans la balle qui traverse la cervelle d'un otage, et un jour tu t'arrêteras et avec toi la terre s'arrêtera un peu de tourner, ne serait-ce qu'un instant, cet instant qui scelle le corps au souvenir d'un lieu, d'un temps, d'un agencement du monde -- ...