28 sept. 2008

deux plans, une histoire, une analyse

1. (Retour sur le rêve d’hier)

Scénario: 3 personnes: A, B, C.

C demande à A & B de réaliser quelque chose, des exercices de thérapies comportementalistes (imaginons une agence qui s’occupe de manager des serial killers, soit en réinsertion sociale, soit en réinsertion “professionnelle”). C dit à ses deux patients que le plus important, pour l’instant, n’est pas vraiment le fond mais la forme. B exécute l’exercice avec sobriété alors que A panique “il me demande de faire cela mais c’est plus la forme que le fond, et si je fais n’importe quoi (ie. si je redeviens le serial killer que j’étais avant que ma névrose me freine), B et C me prendront pour un psychopathe alors que je suis avant tout un serial killer plutôt habile (du moins l’étais-je avant ma crise devant cette personne que je m’apprêtais à tuer, etc., paralysie, ressort comique possible, etc. – la femme qu’il s’apprêtait à tuer tombe amoureuse de lui et ils vivent ensemble et elle le pousse à voir un psy (C) pour qu’il se soigne.) A est lui aussi un serial killer qui se trouve dans la même position que B – scène comique: ils sont dans la salle d’attente, ils discutent de leurs problèmes de serial killer, problèmes techniques (les meilleures cordes, meilleurs sacs, comment tu nettoies ta bagnole, moi je passe l’aspiro et après je …, etc.) B est le genre serial killer classieux alors que A est plutôt en marge.

Premier plan (au sens mathématique du terme): A et la règle castratrice du “ce n’est pas très important pour l’instant”. Dans le champ d’action, B se sent à son aise parce qu’il écrit au crayon à papier (cf. mon rêve) alors que A écrit à l’encre indélébile. L’encre, c’est ce qui donne l’importance au geste – du moins le pense-t-il puisqu’il s’organise dans le temps-après et non dans le temps-maintenant. On écrit à l’encre pour rester; on écrit au crayon à papier pour apprendre (mais la question de l’apprendre se pose ici: apprend-t-on mieux en sachant que l’on peut effacer, revenir en arrière, ou au contraire, en sachant que l’on ne peut pas effacer. La gomme efface l’erreur, l’encre rend lisible l’erreur.)

Deuxième plan: la position de A vis à vis de B & C. B & C sont de connivence, ils partagent les mêmes codes, ils savent ce que signifie “ce n’est pas très important pour l’instant”. B répond à la demande sans excès, sans trop d’efforts mais sans personnalité – alors que la finalité des exercices est avant tout de re/trouver sa personnalité, sa propre expression, son dire. A n’a pas les codes – problème d’éducation, de propre regard sur soi – une évidente auto-dépréciation qui le pousse à geindre et à se poser en victime.

Résolution de A (au sens mathématique) au premier plan: crayon à papier ou encre ? Faut-il répondre à cette demande d’une manière stupide et “petite-bourgeoise” (crayon à papier) ou faut-il s’engager (encre) comme si l’exercice s’inscrivait au-delà de l’instant (par delà l’instant).

(J’aime beaucoup cette phrase: “le plus important pour l’instant, c’est la forme” comme on dirait “le plus important pour Pierre, c’est la forme”.

Résolution de A au second plan: ne pas prendre la voie de la victimisation ni celle de l’accusation (c’est pas moi c’est les autres). S’en sortir par l’augmentation de la puissance d’agir.

2.

Ce rêve est un sommet de cuculisation gombrowiczien. Comment dois-je me comporter et le trouble que jette la remarque du correcteur – j’ai d’ailleurs utilisé le terme correcteur et non celui de surveillant alors que dans le rêve, le personnage était plutôt celui du surveillant. Mais c’est en définitive un correcteur, celui qui sanctionne, qui biffe.)

3.

-- Le trouble vient de ne pas savoir s’il faut écrire au crayon à papier ou à l’encre.

-- Avec un ordinateur, banane! me répondit-il.

27 sept. 2008

comme

1. En réalité, c’est une question d’intensité, de distance entre deux points. Toi tu fais des choses en pensant au temps bien-après alors que ces choses là s’inscrivent dans le maintenant.

2. Cette nuit, j’ai rêvé que j’étais à khâgne, ENS ou un truc comme ça; c’était le premier devoir surveillé de l’année; des documents étaient donnés aux élèves et il fallait écrire quelque chose à partir de ça – il s’agissait d’articles de presse qui parlaient grosso modo de Londres. Mon voisin de table était un ancien camarade de lycée (Pierre jesaisplus)– l’idée même du petit bourgeois des petites villes de province que j’avais connu durant mes études – petit pull en laine, chemise vichy, etc. Très inspiré, il remplissait feuille sur feuille, écrivant au crayon à papier alors que je peinais à comprendre ce qui était demandé, doutant de la qualité de mon écriture – petite et serrée, encre noire donc ineffaçable, à l’inverse de la mine en papier. Son air assuré me déstabilisait et les heures passaient, tétanisé. Puis un correcteur dit: “vous savez, dans ce genre d’épreuves, le plus important n’est pas le contenu, mais le style, la façon d’écrire. Après, à la fin de votre cursus, à l’examen final, évidemment que l’on tiendra compte du contenu, mais dans ce cas-là, …” Ces propos m’achevèrent.

Pour moi, c’est un nœud inextricable. Un jour, cette phrase a été dite et le trouble dans lequel elle m’avait jeté à l’époque se représente à moi maintenant.

En premier lieu, on impose un sujet, donc on demande un engagement sur le fond. Mais en réalité, ce n’est pas important, l’essentiel est la forme. Alors pourquoi donner ces documents s’ils ne sont pas importants. Comment voulez-vous que j’écrive quelque chose de bien si le sujet n’est pas important – parce que s’il n’est pas important, j’ai le pouvoir de faire n’importe quoi mais ce n’importe quoi, vous n’allez pas l’accepter parce que ça sera effectivement n’importe quoi. En définitive, cette phrase “ce n’est pas important” est une saloperie de règle castratrice – ce que tu fais, ce n’est pas important, mais ça ne veut pas dire que ce que tu vas faire devra être n’importe quoi – ne devra pas être le produit de quelque chose de très intime (lâcher-prise, caca, cri primal, improvisation – même autour du sujet imposé) – juste des sottises très petite-bourgeoises qui seront sans importance et dont le traitement, la manière de procédé sera jugée avant tout. Après, on verra de quoi tu es capable (ie. “ce que t’as dans le ventre” – pour filer très adéquatement l’idée du caca-création).

Evidemment, j’écris avec une encre qui ne s’efface pas. Lui peut effacer, c’est même ce qui fait sa force, au regard du correcteur. Les deux sont de connivence, chacun dans leur rôle alors que ma place est déjà en-dehors du jeu parce que les règles sont faussées -- “on te juge, mais pas sur …”

(…)

Le plus incroyable, c’est de me rendre compte à l’instant même de la résistance que je produis pour ne pas “voir” que le problème n’est pas cette histoire de règles mais du jeu de rôle de la scène (l’élève, le maître et moi); cette idée de relativité entre deux points, la distance entre deux points. Mon petit laïus de la victime qui pendait à mes lèvres m’écœure finalement. Il y a une sortie (et pas “de secours”, comme je l’avais écrit et que je corrige fissa) à ce genre de système – non pas en refusant ou en détournant le système des règles “ce n’est pas important, fais ce que l’on te demande ou non”, mais en reconsidérant les rôles et en trouvant une posture – et surtout pas celle de l’impuissance, celle de la victime.

3. (…)

4. Elephant, Alan Clarke.

26 sept. 2008

dans les cafés

Tu étais la fille indolente, tu lisais des auteurs américains, des philosophes allemands, des poètes russes, sans forcément tous les comprendre, peut-être parce que tu lisais dans les cafés comme d’autres vont au théâtre, en spectateur surveillant d’un regard absent si l’une de leurs connaissances ne les voient pas ici. Et c’était bien moins le bruit des petits crèmes s’entrechoquant contre les verres de bière qui te distrayait, que l’attention que tu portais à la curiosité des clients à ton égard. Tu t’installais là, à la petite table dans le coin, à côté de la vitre donnant sur la rue, et après avoir disposé ton paquet de cigarettes à la portée de ta main, après avoir déplacé la tasse de café et le cendrier, tu te penchais sur ce livre à la recherche du mot auquel tu t’étais arrêtée quelques temps auparavant, dans ta chambre de jeune fille indolente. Puis tu lisais et quelques lignes après, tu relevais la tête à l’affût d’un détail qui clochait. Tu n’étais jamais satisfaite de la disposition des éléments autour de toi. Alors tu détachais tes cheveux, posais l’élastique en mousse sur la table et prenais une cigarette en rapprochant le cendrier. Tes yeux allaient des entrées et des sorties à tes cuisses où reposait le livre écorné, et le texte te venait ainsi par pointillé, son sens ne prenant jamais réellement forme à tes yeux tant ton attention était écartelée entre l’univers des mots et le son de la clochette qui retentissait à chaque ouverture de porte. Et quand le café se vidait, à cette heure où les ouvriers ont fini d’engloutir leur serrano-beurre et reprennent leur travail, tu abandonnais ton regard dans la ruelle de l’autre côté de la vitre, une main sur ce livre comme une bouche ouverte, dont tu ne savais que faire puisque plus personne ne pouvait assister à ta lecture, éprouvant dès lors tout le poids des livres qu’il faut lire pour être dans le monde, et la solitude qui va avec.

20 sept. 2008

l'ultime anachorète du règne animal

1. A propos des chiens qui s'habillent en loup.
Il fallait en parler, un jour, de ces chiens. Ce ne sont pas des chien-loups, ce sont des chiens qui s'habillent en loup. Le chien est un animal domestique qui aboie fort pour se faire remarquer. Le chien qui s'habille en loup, c'est un chien qui endosse le rôle de l'animal sauvage, mais qui n'a de sauvage que l'accoutrement. Mais pourquoi un tel déploiement de moyens ? Parce qu'il sait que ce qui fascine les hommes dans le chien, c'est son appartenance au règne animal, à cette lointaine relation qu'il a un jour eu avec le loup. Alors il joue de cela pour attirer viscéralement les hommes -- voyez-le se défendre de ne pas aimer la compagnie des hommes (on ne lui connait pas d'amis, pas de relation, comme un loup est supposé ne pas en avoir) mais il est toujours là, traînant dans la société sa pelisse de faux-loup, à l'affût d'un nouveau territoire à occuper, de nouveaux regards à capter. Le chien qui s'habille en loup est avant tout un chien avec une vie de chien: il est très prévisible, il est parfaitement réglé sur la vie des hommes. La finalité des moyens qu'il met en œuvre -- aboiement, traque de la proie, recherche de nouveaux territoires -- n'est pas sa survie puisque le chien se nourrit avant tout de ce que lui donne les hommes. La finalité de cette violence qu'il emprunte au loup sans en connaître les règles, les principes et les raisons, est de recevoir des coups. Et quel animal est le plus à même à distribuer de la violence sans but si ce n'est l'homme. Lui donner des coups, c'est le satisfaire dans le choix qu'il a un jour fait de prendre l'habit du loup -- cet animal par lequel le Mal se propage. Mais si vous ne lui régalez pas la croupe de quelques coups de pieds, le chien qui s'habille en loup est avant tout un brave toutou -- vous pouvez même jouer avec lui, lui donner une gourmandise, lui faire un câlin. S'il vient à trop aboyer, caressez-lui le museau, dites-lui qu'il est le plus sauvage des loups, l'ultime anachorète du règne animal. Alors il se calmera, et à vos pieds se couchera; il gémira peut-être un temps, mais après il s'endormira, roulé dans sa pelisse de faux-loup.

2. Dialogue autour de Damiens.
-- Quelle est ton ambition sur ce texte?
-- Je ne sais pas. Plus j'avance et moins je comprends où me mènent les récits. Je dois t'avouer que ces champs qu'ils explorent me conduisent à avoir certaines idées curieuses que je n'avais pas auparavant. J'ai le sentiment de perdre toute cohérence. Mais je le vois plus comme un système qui se réorganise que comme un système qui s'égare -- pour reprendre Spinoza, qui se réforme. Je réforme mon entendement. Il arrive un jour où la musique dodécaphonique sonne à notre oreille harmonieuse. C'est de ça, dont il s'agit.
-- Alors ton histoire autour de Damiens n'est pas seulement un pastiche des romans d'aventure du XVIIIème mais aussi un champ d'exploration personnel, intime.
-- Oui, c'est ma propre intimité que je creuse et qui me laisse voir bien malgré moi la violence et la puissance, une violence pas forcément glorieuse et une puissance pas forcément rationnelle. Mais la puissance n'est pas rationnelle. La puissance conduit le corps à la consomption. La puissance est une illusion et le pouvoir en est une projection pratique... Je comprends mieux, grâce à notre dialogue, la fin de mon récit. La puissance est (certaienemnt) une illusion. C'est à creuser. Epiphanie et consomption en devenir.
-- Dis-moi, on a l'air connectés tous les deux?
-- Oui, on est bien connectés.

3. J'ouvre ton corps pour en détacher chacune des veines avec la délicatesse d'une dentellière.

4. "Tu ne me sembles pas avoir le vent dans le dos. Et je suis une voile".

11 sept. 2008

Orchesterstücke op. 10

0. Mon corps pris dans la chorégraphie balbutiante du tai-chi -- une allumette qui rêvait être un élastique.

1. Perez était un chien et il conduisait un tout-terrain.

(...)

6. Note de bas de page:
Lors d'une formation, j'avais rencontré un type, ex-taulard mis au cachot durant 20 ans pour (selon ses propres termes) "une erreur", lequel prétendait avoir aux yeux 11/10, là où mes mirettes ne dépassent guère les 4/10. Et lisant l'étonnement dans mes yeux lorsque je regardais les lunettes qu'ils portaient sur le nez (un nez percé de deux gouffres desquels explosaient comme des feux d'artifice des bottes entières de persils poilus, noircis au mauvais tabac) -- mon étonnement donc, face aux lunettes qu'ils portaient, il me répondit qu'elles lui servaient à atténuer sa vue bien plus que parfaite. Encore méditatif, je songe à ses lunettes atténuatrices, à ses 20 ans de prison pour "une erreur", à son hélicoptère, à ses berlines allemandes, à ses villas sur la côte et je me dis en pointant mon index droit sur la tempe droite et en lui imprimant de petits cercles concentriques, "mythomane, comme Alain Delon" (récemment lu une interview de Delon dans laquelle il dit "vous savez, j'ai joué dans 15 "classiques", vous comprenez pourquoi à présent je suis un peu sélectif". Il n'est pas prétentieux, son génie n'est qu'un symptôme de mythomane. Alain Delon ne brille que lorsqu'on le place au côté d'une source lumineuse. Il n'est pas lumière, il est phosphorescent.

9 sept. 2008

September song

1. Retour à la maison.

2. Cyclocosmia, là: x

3. On écrit un texte (3 tomes, une feuille, une somme) afin de pouvoir écrire le suivant -- lequel est finalement le même, à peu de choses près -- du vocabulaire, une posture, quelques livres lus, une trame, un autre récit, une autre matière, pour finalement raconter toujours la même merde.

4. Les grands hommes étaient des petits hommes qui voulaient être des grands hommes.

5. Les vieilles archives de 1997: tout ce charabia sans fin qui défrichait au lance-flamme -- on y trouve même de la noise (comme diraient nos amis du labo de poésie expé d'en face)

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L'introduction s'avère toujours décevante alors pourquoi ne pas commencer par un bruit blanc, l'un de ces bruits qui bien avant de déchirer les tympans réduit à zéro la mémoire de nos sens.


6. J'étais dans un parc près de Westminster Station -- quelque chose comme ça; le soleil ne donnait pas fort, des hommes d'affaire mangeaient des sandwiches en lisant le gratuit du jour (et vous, vous êtes apparus encore, une nouvelle fois comme une cible à atteindre, et cette fois-ci, je vous ai eus en plein dans le mille; vous n'étiez pas subitement devenus moins forts, mais j'avais compris que je m'étais trompé jusqu'ici: ce n'était pas l'innocence, ni la naïveté qu'il fallait endosser pour vous atteindre, mais dépasser le cynisme -- et garder le majeur en l'air encore quelques instants dans votre direction, en sémaphore --).