1. A propos des chiens qui s'habillent en loup.
Il fallait en parler, un jour, de ces chiens. Ce ne sont pas des chien-loups, ce sont des chiens qui s'habillent en loup. Le chien est un animal domestique qui aboie fort pour se faire remarquer. Le chien qui s'habille en loup, c'est un chien qui endosse le rôle de l'animal sauvage, mais qui n'a de sauvage que l'accoutrement. Mais pourquoi un tel déploiement de moyens ? Parce qu'il sait que ce qui fascine les hommes dans le chien, c'est son appartenance au règne animal, à cette lointaine relation qu'il a un jour eu avec le loup. Alors il joue de cela pour attirer viscéralement les hommes -- voyez-le se défendre de ne pas aimer la compagnie des hommes (on ne lui connait pas d'amis, pas de relation, comme un loup est supposé ne pas en avoir) mais il est toujours là, traînant dans la société sa pelisse de faux-loup, à l'affût d'un nouveau territoire à occuper, de nouveaux regards à capter. Le chien qui s'habille en loup est avant tout un chien avec une vie de chien: il est très prévisible, il est parfaitement réglé sur la vie des hommes. La finalité des moyens qu'il met en œuvre -- aboiement, traque de la proie, recherche de nouveaux territoires -- n'est pas sa survie puisque le chien se nourrit avant tout de ce que lui donne les hommes. La finalité de cette violence qu'il emprunte au loup sans en connaître les règles, les principes et les raisons, est de recevoir des coups. Et quel animal est le plus à même à distribuer de la violence sans but si ce n'est l'homme. Lui donner des coups, c'est le satisfaire dans le choix qu'il a un jour fait de prendre l'habit du loup -- cet animal par lequel le Mal se propage. Mais si vous ne lui régalez pas la croupe de quelques coups de pieds, le chien qui s'habille en loup est avant tout un brave toutou -- vous pouvez même jouer avec lui, lui donner une gourmandise, lui faire un câlin. S'il vient à trop aboyer, caressez-lui le museau, dites-lui qu'il est le plus sauvage des loups, l'ultime anachorète du règne animal. Alors il se calmera, et à vos pieds se couchera; il gémira peut-être un temps, mais après il s'endormira, roulé dans sa pelisse de faux-loup.
2. Dialogue autour de Damiens.
-- Quelle est ton ambition sur ce texte?
-- Je ne sais pas. Plus j'avance et moins je comprends où me mènent les récits. Je dois t'avouer que ces champs qu'ils explorent me conduisent à avoir certaines idées curieuses que je n'avais pas auparavant. J'ai le sentiment de perdre toute cohérence. Mais je le vois plus comme un système qui se réorganise que comme un système qui s'égare -- pour reprendre Spinoza, qui se réforme. Je réforme mon entendement. Il arrive un jour où la musique dodécaphonique sonne à notre oreille harmonieuse. C'est de ça, dont il s'agit.
-- Alors ton histoire autour de Damiens n'est pas seulement un pastiche des romans d'aventure du XVIIIème mais aussi un champ d'exploration personnel, intime.
-- Oui, c'est ma propre intimité que je creuse et qui me laisse voir bien malgré moi la violence et la puissance, une violence pas forcément glorieuse et une puissance pas forcément rationnelle. Mais la puissance n'est pas rationnelle. La puissance conduit le corps à la consomption. La puissance est une illusion et le pouvoir en est une projection pratique... Je comprends mieux, grâce à notre dialogue, la fin de mon récit. La puissance est (certaienemnt) une illusion. C'est à creuser. Epiphanie et consomption en devenir.
-- Dis-moi, on a l'air connectés tous les deux?
-- Oui, on est bien connectés.
3. J'ouvre ton corps pour en détacher chacune des veines avec la délicatesse d'une dentellière.
4. "Tu ne me sembles pas avoir le vent dans le dos. Et je suis une voile".