15 sept. 2009

Maigre

"Personne avant moi, dans cette langue, n'a écrit comme je le fais, comme j'ose le faire, et comme c'est mon plaisir, ma plénitude. Je sais que des dernières pages de Samora Mâchel, en Mai, je peux, les lisant ici, en réveiller les morts, de cet enclos, les notables et les obscurs, les honorés et les oubliés, les paysans, les ouvriers, les enfants, les femmes. Comment me faire moi-même à cette réalité de ma langue, de la langue de mon être avant que je sois? Comment apaiser la peur que j'en ai, la peur de l'Inconnu? Comment accepter cette voix transitoire dont j'entends déjà l'accomplissement?
De l'autre côté du mur -- je ne ressens aucune douleur de l'entorse qui me prendra le pied dès l'après-midi, l'amaigrissement et les cachets aidant, je ne souffre plus que d'une seule douleur, celle de cette langue dont je sais la beauté trop dure déjà pour moi, trop forte pour moi, qui me meus pourtant dedans avec science et plaisir, mais combien plus je me préférerais usant d'une langue lisible par tous dans l'immédiat (et pourtant...).
Cette langue dépasse ma pauvre force, elle va plus que ma pauvre volonté. Elle me scandalise, me fait rougir, à d'autres moments rire, non d'une langue de fou, mais d'artiste trop fort pour l'être, humain, que je suis encore; de prophète de moi-même donc." (Guyotat, Coma).
Alors je suis allé à la librairie pour voir ce que j'avais un jour entendu d'une lecture d'un texte de Guyotat -- mon expérience de lectures guyotiennes (inachevées, je précise) s'arrêtant aux très "classiques" Tombeau pour cinq cent mille soldats et Eden Eden Eden -- et prendre la mesure de quoi Guyotat parle, cette langue en laquelle il entre -- "j'entre en langue" me répète C., en retournant les mains comme si elle retournait une peau.

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