26 févr. 2005

Il faut arrêter la psychanalyse, surtout lorsqu'elle se pratique dans les escaliers

A un moment, il faut arrêter la psychanalyse, surtout lorsqu'elle se
pratique dans les escaliers. Pas de la grande psyché freudienne, à peine une
glace de poudrier qui tient dans la poche. Ca réconforte de se dire entre le
dessert et le café que l'on a compris pourquoi on ne tourne pas rond. C'est
un peu comme résoudre une équation vectorielle en se curant le nez avec les
deux mains. Ca n'apporte pas grand chose, hormis l'illusion que l'on se
donne d'être suffisamment intelligent pour se comprendre soi-même. Le fameux
éclair de génie, la pomme et tout le toutim du type dans la baignoire.
Hormis que la scène se joue ici entre la marche 11 et la marche 12 de
l'escalier. Ca y est j'ai compris, vous dit-on, tout fierot. Suit après
l'eurêka égotique, une loggorhée psycho, aussi fébrile qu'un junkie en
manque. Sauf qu'ici, la came est le divan hebdomadaire.

Finalement, l'humanité ne se comprend que lorsqu'elle est allongée; debout,
ça fait le fierot, ça se gausse, ça se répand, ça dégueule à qui
mieux-mieux. L'humanité, ça se révèle lorsqu'elle est allongée: au plumard
pour les poutouilles et dans le coffre en sapin pour l'éternité.

Rien n'est plus fascinant que le névrosé qui se sent pourvu d'une puissance
phénoménale. Il se sent voler haut, la vision large qui embrasse tout
l'univers au moins, si ce n'est plus, l'aigle holderlinien au-dessus de la
pampa, qui vous donne des conseils, qui vous afflige ses commentaires
auxquels vous ne pouvez pas répondre parce qu'il a forcément raison. Au
début, ça amuse, ça intrigue. Dites-moi donc, cette personne, elle est
foutrement intelligente, elle est foutrement cultivée. Elle vous embobine,
vous vous prenez à son petit-jeu, mais vous sentez qu'il y a un truc qui
cloche. Non pas chez cette personne, mais chez vous. Vous devenez curieux,
difforme. La chaise n'est pas confortable ou c'est moi qui ait mal à
l'arrière-train. Pourquoi je respire aussi mal. Qu'est-ce que j'ai à bégayer
comme ça, d'habitude ça ne m'arrive pas, j'ai des poumons de dinosaures. Et
le dieu-tout-puissant-névrosé, encore bouillant de sa propre petite analyse
de comptoir, en manque de sa sieste hebdomadaire, sous subutex pontalisien,
de vous passer au peigne fin et de vous mettre gentiment dans sa petite
case. Viens avec moi bonhomme, plus on est de fou, mieux c'est. Vous
insistez: diantre, cette personne est foutrement intelligente, elle m'a
salement percée! Quel regard aiguisé, quel magnifique clairvoyance sur ma
personne. Si chez Midas, il vous change le pot en 30 minutes, chez le
névrosé-tout-puissant, il vous torche votre fiche technique entre la soupe
et la charcutaille. Il n'y a plus qu'à faire les empreintes digitales, là.
Et vous voilà maintenant bardé de pustules et de traumas, votre mère vous a
battu et vous rêviez de tuer votre père. Vous êtes malade tous les deux,
vous vous comprenez, c'est la fin de la solitude. Vive l'humanité, vive
l'amour, vive la fraternité! Bon, et puis alors c'est l'heure de partir,
parce que c'est pas tout, je me sens tout bizarre depuis qu'on se parle,
j'ai des sueurs, je ne me sens pas très bien. Dans le trolleybus, vous
croisez Machin, vous discutez de la coupe de France et le malaise s'estompe.
Tiens, c'est curieux, ça va mieux. Quelques jours plus tard, vous revoyez le
névrose-bricolé, il vous recolle sa chtouille, vous en aurez pour la
journée. Il y a vraiment un problème, je marche en crabe. J'ai des poumons
de poisson. J'ai la vision floutée. Et puis un autre jour, vous recroisez
encore votre ingénieur psychanalyste. Mais cette fois-ci, vous êtes dans une
humeur particulière. Tout va bien, votre petite jardin secret est fleuri, et
vous n'avez pas envie qu'on vienne écrabouiller vos plate-bandes. Vous en
voulez pas de sa chtouille. Vous le lui faites comprendre. En général, il ne
comprend pas sur le coup. En général, il vous rappelle quelques jours plus
tard pour avoir confirmation sur ce que vous avez voulu bien lui faire
comprendre.

Deux choix s'offrent à vous: soit vous êtes compatissant et donc tordu, et
vous vous excusez presque; soit vous êtes un vrai enculé, et vous le lui
faites bien comprendre ce que vous avez bien voulu lui faire comprendre la
dernière fois, c'est à dire que sa chtouille, vous n'en voulez pas. Dans le
premier cas, vous regagnez 10 points de sympathie, mais vous perdez 4 points
de vie. Dans le second cas, vous perdez tout vos points de sympathie, mais
vous regagnez tout vos points de vie. Dans le premier cas, vous avez un ami
pour la vie, qui viendra chez vous quand il le voudra. Il vous comprendra
mieux que vous ne le comprendrez, ça sera la petite laisse qui vous ramènera
à l'état de toutou fidèle, de compagnon idéal pour les mondanités, qui dit
oui qui dit non, et qui dit rien c'est encore mieux. Si vous vous rebellez,
il sortira le petit bâton à culpabilité. Bon wafwaf, vous vous coucherez et
tendrez la papate à son maimaitre. Dans le second cas, vous êtes un connard,
vous avez un nom de plus rayé dans votre agenda. Dans les mondanités, vous
croiserez la Culpabilité. Votre corps tremblera, vous sentirez les petits
anticorps se mettre en branle. Ca chauffera de partout. Vous esquisserez un
sourire. C'est pas parce que je suis un connard que je ne peux pas dire
bonjour. La Culpabilité vous dédaignera, vous sourirez d'avantage, vous
aurez gagné une bonne partie contre l'humanité.

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