J'ai éprouvé énormément de mal à effectuer le passage de l'écriture d'untexte court tenant en quelques lignes, à l'écriture d'un texte long --et curieusement, j'éprouve une réelle difficulté à revenir à des textescourts, maitenant que j'ai passé le cap du texte long -- et peu importele résultat puisqu'ici, le propos porte sur une expérience d'écriture.
Pour paraphraser Klossowski, qui a dit "Le jour où le jeune écrivaincorrige sa première épreuve, il est fier comme un écolier qui vient degagner sa première vérole", je dirais "le jour où le jeune écrivainécrit son premier livre, il est comme un écolier qui vient de découvrirla masturbation". Je n'en suis qu'à la branlette, mais j'aimerais bienchoper la vérole ;-)
Je vais tenter de dresser la liste des analyses/remarques/interrogationsqui me restent sur les bras après cette expérience, dans l'espoir qu'enles couchant ici, à l'oeil libre des lurkrices(-keurs) &contributrices(-teurs), je pourrais enfin me libérer et prendre distanceavec, puisque ces interrogations me bloquent et me frustrent de pouvoirpasser à autre chose.
L'une des difficultés a été de garder une cohérence stylistique tout aulong de l'écriture. Dans l'écriture de textes courts, il est possible depasser d'un style, d'un phrasé, à un autre; mais cela n'est pas vraimentpermis sur des dizaines et des centaines de pages -- sauf si le bouquinque l'on écrit s'appelle /Ulysse/ et que l'on s'appelle James Joyce.
Certes, je conçois toujours cette idée de pouvoir apporter desvariations sur le rythme, sur des changements dans la manière d'aborderla narration, mais celles-ci doivent rester cohérentes, c'est-à-dire,soutenir cet ensemble qu'est le style -- style bon ou mauvais, là n'estpas la question. Ceci peut paraître un peu ridicule à constater, mais aucours de cette expérience, j'ai dû dégrossir ma manière d'écrire,l'affiner, la forger, c'est-à-dire, devoir *contrôler* le geste -- cequi, en plus d'être frustrant, ramène l'épreuve du "long" à courir unmarathon avec des chaussures coulées dans du béton.
Dans cette difficulté, entre également la question du tic; sur un textecourt, les tics n'apparaissent pas forcément aux lecteurs ni même à sonauteur, mais sur une longue distance, l'abus devient flagrant, cecid'autant plus lorsqu'il n'est qu'une béquille pour l'auteur las. Je saisque j'ai énormément abusé, entre autre, de la tournure "bien moins que...", devant me résoudre à revoir pas mal de pages tant cela devenaitalambiqué jusqu'au grotesque; et je doute avoir fait le tour de mesalambics :-). Dans ce cas précis, c'était l'une des résultantes dusyndrôme de Hugo, c'est à dire pisser de la ligne en pensant écrire lechef d'oeuvre -- comme si finalement la tenue d'un "flot" était synonymede qualité. Ces points étant à revoir, à corriger à plusieurs reprises,ceci pousse la lassitude jusqu'à l'écoeurement, au découragement. Maisétrangement, j'estime avoir bien plus appris à écrire en récrivant qu'enécrivant simplement; et c'est peut-être là que le coup porte et blesse.
L'autre difficulté que j'ai rencontrée a été de savoir comment raconterce que j'avais à dire: jusqu'où dois-je aller ? que dois-je omettresciemment ? telle digression est-elle vraiment utile ? qu'apporte-t-elle? est-elle en cohérence avec l'intérêt du livre que l'on veut écrire ?Par exemple, pour un polar, faut-il s'attarder sur la couleur de la robede la dame en noir (sic) ? J'ai dû couper dans le texte, le resserrer àcertains endroits, devenir un monteur de cinéma qui selon les séquencesqu'il choisit, pourra donner des couleurs différentes à son film. Ce quirajoute une couche au travail besogneux de "post-production".
Cette difficulté est d'autant plus difficile à surmonter lorsque l'on aécrit essentiellement des textes courts -- le plus souvent des hybridesentre la nouvelle et de la prose --, textes courts dans lesquels uneseule idée est exposée, une seule chose est à dire; sur un texte long,il est difficile de ne pas s'enliser dans cette idée à laquelle ons'accroche parce qu'on la juge démentiellement géniale -- un autresymptôme du syndrome de Hugo. Il en est de même pour les images et lesmétaphores -- lesquelles, lorsqu'elles se rapportent toujours au mêmesujet, deviennent bien moins une licence poétique qu'un tic effroyabled'auteur à imagination courte.
Actuellement, les questions que je me pose sont:
- de savoir comment aborder mon histoire; qu'est-ce que je veux dire àtravers cette histoire, sans avoir à l'écrire -- parce que dans cecas-là, il sera plus simple d'écrire directement un essaisocio-philosophique branlant;
- par quel biais amener mon propos; selon quel plan, sur quelle structure;
- comment vais-je raconter cette histoire, en connaissant ma manièred'écrire et mes automatismes;
ces questions posées afin d'éviter le travail laborieux, besogneux de"post-production".
Mes dernières interrogations m'ont permis d'aboutir à cette idée qui mesatisfait plutôt, qui est la différence fondamentale entre le contrôleet la maîtrise -- et ceci me convient d'autant plus que cette conclusioncorrespond tout autant à l'approche de l'écriture qu'à ma manière devivre, d'être *vivant*.
Il ne s'agit évidemment pas d'une conclusion fourre-tout, et je laconçois avant tout comme une étape, tout autant dans le processus del'écriture que d'être *vivant*.
C'est d'ailleurs étrange comme l'histoire que je veux actuellementraconter entre en adéquation avec cette idée de contrôle et de maîtrise;comme si la pleine résolution de cette conception d'être agissant,d'être vivant, d'être écrivant, devait passer par l'écriture de cettehistoire; bien moins écrire pour "choper la vérole" que pour s'accomplirsoi-même. Ceci dit pompeusement, mais qui n'est pas sans importance pourmoi.
Petite notule: ces quelques remarques sur une expérience d'écriture sont très terre à terre en comparaison aux réflexions de Blanchot, Barthes, etc; elles interrogent bien moins l'écriture que la manière d'écrire.
Mais n'est-ce pas là que se situe le nerf de la guerre ? L'écriture doit se placer sur un périmètre autour d'un sujet qu'elle devrait se refuser
d'aborder; en somme, en revenir à ne pas écrire ce qu'il y a à dire, mais à le faire dire, comme l'on presse un fruit pour en tirer le jus. Ce qui renvoie à toute la difficulté d'écrire: qu'ai-je à dire, à transmettre, à travers cette histoire, sans que je sois obligé de l'écrire, sans que cela s'apparente à un essai ou à une énumération de faits.