20 janv. 2011

Albert Ayler, la ritournelle





Ici Ayler reprenant La Marseillaise et la torturant, y agglomérant d'autres mélodies -- on peut même entendre l'assaut des Yankees contre les Sudistes, que vous siffloterez avec joie et bonne humeur après une écoute prolongée, à la grande surprise (consternation) de votre entourage.

"I. Un enfant dans le noir, saisi par la peur, se rassure en chantonnant. Il marche, s'arrête au gré de sa chanson. Perdu, il s'abrite comme il peut, ou s'oriente tant bien que mal avec sa petite chanson. Celle-ci est comme l'esquisse d'un centre stable et calme, stabilisant et calmant, au sein du chaos. (...)

Albert Ayler serait un petit garçon qui aurait peur dans le noir. Ses titres font très souvent référence au fantôme, et il se définissait lui-même comme tel, dans une énonciation d'une trinité personnelle & musicale: "Trane was the father, Pharoah was the son, I was the holy ghost" -- miroir de la trinité chrétienne "The Father, the Son and the Holy Spirit". Non pas ici l'esprit mais le fantôme; l'Esprit est éternel, c'est-à-dire ni mort ni vivant (par delà la vie), le fantôme est un mort pris au piège dans le territoire vivant.

II. Maintenant, au contraire, on est chez soi. Mais le chez-soi ne préexiste pas: il a fallu tracer un cercle autour du centre fragile et incertain, organiser un espace limité. (...) les composantes vocales, sonores, sont très importantes: un mur du son, en tout cas un mur dont certaines briques sont des sonores (...)

III. Maintenant enfin, on entrouve le cercle, on l'ouvre, on laisse entrer quelqu'un, on appelle quelqu'un, ou bien l'on va soi-même au-dehors, on s'élance. On n'ouvre pas le cercle du côté où se pressent les anciennes forces du chaos, mais dans une autre région, créée par le cercle lui-même. Comme si le cercle tendait lui-même à s'ouvrir sur un futur, en fonction des forces en oeuvre qu'il abrite. Et cette fois, c'est pour rejoindre des forces de l'avenir, des forces cosmiques. On s'élance, on risque une improvisation. Mais improviser, c'est rejoindre le Monde, ou se confondre avec lui. On sort de chez soi au fil d'une chansonnette. Sur les lignes motrices, gestuelles, sonores qui marquent le parcours coutumier d'un enfant, se greffent ou se mettent à bourgeonner des lignes "d'erre", avec des boucles, des noeuds, des vitesses, des mouvements, des gestes et des sonorités différents. Ce ne sont pas trois moments successifs dans une évolution. Ce sont trois aspects sur une seule et même chose, la Ritournelle. (...)"

etc., etc.

De la ritournelle, extrait de Mille plateaux, Guattari-Deleuze.