22 janv. 2011

La ville (1)

1. Parfois je retrouve des bouts comme des peaux mortes, marquées par une existence dont je ne garde aucun souvenir. 

2. Les avenues ne seraient rien sans ces rues qui en découlent de chaque côté -- s'effilochent en petites ruelles, s'enfoncent à travers les habitations, s'égarent dans l'étroit espace qui sépare deux bâtiments, mènent jusqu'au pas de  porte, à l'impasse, à la voie sans issue de la ville, la porte close derrière laquelle a lieu une autre vie, la tienne, la mienne, celle d'une vie souterraine -- reliant par croisement d'autres rues, d'autres avenues (se jetant les unes dans les autres, chacune drainant sa population au croisement où les feux clignotent et les cafés s'imposent d'eux-mêmes parce qu'ils sont le lieu du commerce (non seulement du tabac, de l'alcool, de la restauration, il y a dans les arrières-salles, la drogue, les paris, les adultères, les amoureux qui s'aiment au premier regard, les divorces en suspens, l'attente, le chômage, les larcins d'un vol à l'étalage, la joie d'un ticket de loterie, le long périple d'un exilé, il y a la lecture des journaux, la rédaction dans un carnet d'un chapitre, d'un vers de douze pieds, ta main sur mon genou et tes yeux qui se referment parce que nous n'avons pas dormi la nuit dernière, il y a la voix des habitués qui ressasse le monde de la largeur du territoire que leurs yeux peuvent voir et que leurs jambes peuvent parcourir, ceci allant au-delà d'une ligne derrière laquelle la ville reprend forme à leurs yeux, redevient une abstraction, un lieu géographique dans le monde (moi j'habite à ... dit-il quand il est en vacances, alors qu'il habite avant tout son territoire et non la ville) -- puisqu'au croisement des rues, où le commerce prend sa nécessité, naît le quartier (le village) avec sa cohorte de lois propres, d'histoires, de légendes, de figures -- lesquelles (les figures) se dissolvent dans la ville et disparaîtront de son histoire (de la ville), de sa géographie -- un jour il meurt, un jour un autre vient le remplacer, cet homme qui n'a pas de nom et se définit par un éventail d'habitus --
la ville a des villages comme un homme a différents noms, les uns reliés aux autres par les rues qui mènent aux avenues et quadrillent la ville (le trait commun qui sépare et joint deux noms d'une même personne, comme si ce trait était l'ombre des deux (noms) alors qu'elle en est à peine l'architecture, la structure, puisque ce qui structure deux noms est le rayon d'action de la puissance qu'ils referment l'un et l'autre, comme un quartier ne se définit pas par un jeu de rues mais par une aura) -- passages de l'un (village) à l'autre, d'histoires à d'autres, d'une verticalité à une autre (valeurs, idées, religions, cultures), (...), et nous courions la ville parce que nous n'avions pas de nom.