1. “Cela est tout aussi insensé que si un poisson, pour qui nulle vie n’est possible hors de l’eau, disait: si nulle vie éternelle ne suit pour moi cette vie dans l’eau, je veux sortir de l’eau pour aller sur terre; que peuvent dire d’autre ceux qui ne connaissent pas Dieu ?”
(Spinoza, Court traité)
2. “D’abord, à propos des pseudo-philosophes, pour qui penser signifie moraliser: “Ils ont appris à louer sur tous les tons, une nature humaine qui n’existe nulle part, et à harceler par leurs discours celle qui existe réellement.” Or projeter une nature humaine fictive revient à extraire l’homme de la nature: “Ils conçoivent l’homme dans la nature comme un empire dans un empire.” Le lien avec la tendance du vulgus à vivre dans un autre élément que dans le sien est évident: extraire l’homme de la nature, c’est sortir le poisson de l’eau. On lui prête une puissance qu’il n’a pas (maîtriser immédiatement ses passions, vivre sur terre), on ignore sa véritable puissance (comprendre par les causes, opérer dans l’eau). Non pas que la Nature en général soit un élément, mais il est fait abstraction du rapport entre une nature particulière et l’élément qui lui convient. Traiter une chose extra naturam, c’est évacuer la question de l’élément, et par conséquent, des limites tant positives que négatives d’une nature. D’un côté (le vulgus), l’autre nature est simplement celle en fonction de laquelle l’homme passif mène sa vie; de l’autre (le philosophe moraliste), l’autre nature est ce qui permet de condamner la passivité comme un choix vicieux, contre-nature. Spinoza établit lui-même le rapport: ces moralistes, “ils se représentent les hommes non pas tels qu’ils sont, mais tels qu’eux-mêmes voudraient qu’ils fussent”. Autrement dit, cette attitude leur est dictée par l’inadéquation de leurs idées, et nous en apprend plus sur eux que sur l’objet qu’ils prétendent étudier.
C’est tout un, de s’abandonner à un autre élément que le nôtre, et de passer sous silence la question de l’élément. Il est entendu que nous autres poissons employons tous nos efforts à ce jeu dangereux qui consiste à essayer de vivre sur terre, sans nous en rendre compte; mais certains d’entre nous ne voient pas non plus qu’en haïssant ce jeu, ils vont encore plus loin dans l’affirmation de cette terre, en développant la conception abstraite d’un poisson impérial, n’impliquant pas l’eau. Ils croient cesser d’adorer la terre en ne pensant plus aux éléments, mais ils s’empêchent ainsi d’affirmer l’eau (il leur manque d’en avoir joui, de savoir jouir de leur propre nature, en quelque sorte). Spinoza dit bien que la politique de ces moralistes ne peut être qu’une “chimère”, c’est-à-dire le cumul improbable et impuissant de deux essences dans une nature qui enveloppe une contradiction: ils affirment un homme qui n’en est pas un, ils proposent des remèdes adaptés à un être qui n’existe pas et qui, s’il existait, n’en aurait pas besoin.”
(Zourabichvili, Le conservatisme paradoxal de Spinoza)
3. “(…) ils affirment un homme qui n’en est pas un, ils proposent des remèdes adaptés à un être qui n’existe pas et qui, s’il existait, n’en aurait pas besoin.”
4. ?
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