19 oct. 2008

videoclub

1 A l’époque, il y avait le vidéoclub de la rue de la Colombette; vous vouliez voir/revoir un Hawks, un Cassavetes, vous y alliez, ils étaient toujours disponibles – rayon du bas, sous la poussière.

2. Elle est là à vos côtés, quand vous marchez dans ces ruelles bondées d’amies, d’ivrognes chevrotants criant à la volée, elle vous suit là dans les cafés, dans les librairies, dans l’obscurité des salles de cinéma, près de vous elle est cet espace qui sépare votre coude de celui de votre voisin, dans les parcs elle est le silence croisé avec les chiens errants, elle vous entoure à la transparence des aurores mais la plupart du temps vous ne la voyez pas, vous ne l’éprouvez pas, bien qu’elle soit toujours ici, délimitant sans entrée possible votre territoire de paroles, d’actes, de gestes menaçants de la main, d’accolades franches. Et dans les théâtres où l’on applaudit en cœur, elle se terre au creux des strapontins, dans ce fauteuil où vous lisez un livre, parmi ces foules où vous scandez des chants grossiers, elle est toujours ici et s’évanouit parfois au temps des confidences. Elle se faufile comme votre ombre partout où vous allez et elle est d’autant plus à vos côtés quand dans le lieu où vous êtes vous n’y êtes pas réellement, elle vous suit ainsi partout, dans les couloirs de l’immeuble où vous travaillez et ceci jusque dans votre lit, insidieuse et permanente, muette à la démarche légère mais aux bras vigoureux à l’enlacée, invisible à celui qui ne veut pas la voir, mais ne pas la voir c’est déjà connaître son existence, et lorsqu’elle vous apparaît c’est alors dans le fracas d’une déchirure, votre corps se resserre soudainement sur vous, à l’étroitesse de vos mouvements, de votre liberté mesurée et apparente, et sa densité est telle que vos membres alors fléchissent, vos jambes lourdes traînent et lasses suivent la procession des esclaves, pris dans l’étau de cette carapace où vos bras s’ankylosent, où votre buste se rétracte étouffant toute respiration, comme un virus elle vous fige en un corps malade et tordu. Alors examinant l’épiderme de votre existence, vous cherchez le rouge de l’incision, voir la plaie c’est déjà donner du sens à la douleur, mais vos doigts tâtent et ne sentent ni tracés de lame ni nodules de lymphe, et pourtant elle est là et vous pèse sans explication, vous êtes ici réduit au confiné, au vétuste de votre parole, de vos gestes devenus trop courts pour se tendre, se détendre, votre voix devient tranchante et monocorde, simple actrice d’un sourire qui s’épuise dans une grimace, elle vous pèse et malgré vos mouvements amples et respectueux vous ne pouvez vous en défaire, lentement elle s’insinue en vous n’offrant aucune aspérité, aucun passage pour des corps extérieurs, pour des mots ou des attentions, tous gestes à votre égard sont alors perçus comme une ironie tranchante, vous êtes devenu une éponge sèche qui n’a plus son onctueux pour les eaux fraîches, d’un sentiment elle devient une émotion froide qui vous immobilise, non pas une pesanteur omniprésente mais un regard sans cesse porté à vous-même, vous devenez deux obsessionnellement, comme deux miroirs réfléchissant à l’infini votre présence sous tous les angles de cette

3. (j’avais 16-17 ans, et j’étais allé voir Opening night de Cassavetes, au ciné-club de la ville)

4.

                                                      existence prise dans l’étau de la solitude. Vous devenez votre propre geôlier, terrible et cynique dans ses observations, connaissant par avance vos erreurs, vos faiblesses qui vous ont conduit à reconnaître cette présence qui à présent vous enlace gluante à l’étreinte, pris dans des bras éprouvants et tâtant vos ekymoses, une voix qui vous martèle votre insuffisance, l’inconcevable de votre existence, vous réduisant par caresses appuyées à un corps las et inutile, et vous marchez sans but et sans ressource à travers ces paysages où votre ombre se détache des lumières étoilées, dans ces recoins humides où la poussière devient collante et poisseuse, pelotes de cils et de poils pubiens, d’épidermes mortes et d’ongles rouges cassés sans douleur, et plus rien ne vous pousse, vous seriez un bateau vous iriez sur une mer sans vent où les courants vous mèneraient incontrôlable, dérivant sans référence comme ces pelotes de poussière vont s’éteindre dans les endroits insalubres au regard des sociétés closes sur elles-mêmes, sourdes aux rumeurs des orages du silence, sans tonnerre ni éclat.

Alors lentement vous vous habituez à marcher, non plus après des possibles qui exploseraient cette raideur et vous remettraient dans le réseau, redevenant dès lors un nœud, un croisement de relations, vous même rendus à devoir émettre et recevoir à nouveau, à tendre des bras vers d’autres bras, des lèvres vers des peaux qui n’ont pas le cuirassé des coques solitaires, de prononcer des paroles sans équivoque et spirituelles, compréhensibles par tous à l’humour facile et léger, loin de ces macérations vicieuses et solitaires qui réduisent par autodévoration les amours propres en absence, mais vous ne marchez plus à la poursuite de quelqu’un, de quelque chose, votre dessein est de vous faire à cette nouvelle démarche comme les élégants font les chaussures neuves en cuir trop dur qui cisaillent les chevilles et racornissent les orteils, à ces habits amidonnés de ferraille à la froideur des lézards, lentement vos articulations se paralysent en fil de fer rouillé, loin de la souplesse que vous aviez connu alors, quand il fallait encore courir et se plier à des convenus pour ne pas sombrer dans la paralysie comme vous l’êtes à présent. A la vue de ce danger qui vous entoure maintenant, votre regard prend alors une confiance curieuse, lucide il examine vos possibilités d’échapper à cette faille, lucide vous déployez des stratégies, des solutions de survie, comment se détacher de cette émotion poisseuse, qui vous enlaidit à vous-même, qui déforme votre reflet dans les miroirs et courbe votre dos, vous isole finalement de tous et vous enferme dans ce territoire réservé depuis longtemps à d’autres hommes, à d’autres femmes, qui vous regardent là les rejoindre, le sourire tendre et sans moyen, vous saluant d’une poignet de la main, de baisers prudents sur

5.  (un peu plus tard, je l’avais revu et je n’avais pas compris l’attachement que j’avais ressenti la première fois – je comprends à peine pourquoi je n’avais pas compris cet attachement – on s’écarte de ce que l’on est et puis on y revient, par défaut d’exister autrement)

6. Rien.

7. Rien.

8. John Coltrane, Complete Impulse! studio recordings vol. 7

9. John Cassavetes.

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