20 déc. 2010

Motif

Trouver un motif et l'appliquer sur tout ça, pour en révéler des perspectives, des lignes de force, et puis aussi tracer sa genèse, ses racines, et puis aussi élaborer une discipline, un jeu de règles, des lois, construire une machine de guerre, un plan, une organisation, relever ces mouvements intérieurs qui l'animent comme les courants qui parcourent les océans, notifier sa régularité, ses cycles, et puis peut-être à terme construire une machine-modèle, une sorte de réplique pour voir comment ça réagit à des données expérimentales;
trouver un motif pour expliquer ça, comme la mère bienveillante explique à son enfant que les monstres qui habitaient ses nuits n'existent pas -- et si cela continue, il lui suffira d'ouvrir les yeux et ils disparaîtront.


16 déc. 2010

La musique du hasard

1. Reprise de l'Ethique et la vivifiante appendice de la partie 4.

2. Comme un cocon qui se sculpterait de lui-même.

3. Le corps dénudé du comédien est un habit.

4. Ouverture d'un carnet bis -- et se dire que ce ton n'a finalement plus lieu d'être.

5. Attendre les fêtes que cela passe.

6. Etre à nouveau comme un aveugle qui retrouverait la vue.

7. Les doigts sont des crayons qui dessinent des volumes.



13 déc. 2010

Quelques heures sous les sunlights (prise 2)

Autre improvisation retrouvée sur un disque, marmonnée enregistrée sur Elle a passé tant d'heures sous les sunlights de Philippe Garrel. Par un heureux hasard, la séquence était muette et le son du film a repris à la fin de la prise.


6 déc. 2010

*ZombieZ*

0. En vrac.

0b. Katerine. Dada. Comment-tu-ta-pelles. Philippe. Comment-tu-ta-pelles. Philippe. Comment-tu-ta-pelles. Philippe. Comment-tu-ta-pelles. Philippe. Comment-tu-ta-pelles. Philippe. Comment-tu-ta-pelles. Philippe.

"Les gens ne se sentent plus en sécurité, dit-il. On est comme étaient les Comanches il y a deux cents ans. On sait pas sur qui on va tomber le lendemain matin. On sait même pas de quelle couleur ils seront." (Cormac McCarthy, De si beaux chevaux)
1. The Walking Dead. Le concept de l'Apocalypse a toujours traversé l'imaginaire américain mais actuellement, il y a une poussée de fièvre -- cf. The Walking Dead, La Route de McCarthy et certainement une quantité de blockbusters. C'est peut-être moins une crainte de l'Apocalypse à venir qu'une relecture de son histoire: les flux migratoires (je me faisais cette réflexion avec la grande famine qui a frappé l'Irlande et qui a été à l'origine de grands mouvements de foule), la recherche de nouveaux territoires; à travers cette relecture, au même titre que les westerns, c'est une nouvelle approche de son histoire, moins glorieuse. The Walking Dead est un western -- l'image du héros à cheval traversant la ville le surligne -- où les zombies sont les cowboys et les survivants sont les indiens, encerclés, traqués -- chassés de leur territoire. Renversement des rôles: les cowboys sont devenus des indiens, les indiens sont devenus des cowboys, la terre fertile à conquérir, est devenue une terre de désolation. On s'en tire quand même bien: les nouveaux cowboys (les zombies) sont lents et s'ils ont l'avantage du nombre, ils sont faciles à éliminer. Et en plus, c'est spectaculaire.


2. Dead Set. Autre série sur les zombies, version anglaise. Eux, ils courent et ils sont très méchants. La critique qui lui donne une caution intellectuelle est servie à la louche -- mais c'est tout de même très jouissif de voir ces idiots enfermés dans le Loft se faire étriper sans pitié.

3 déc. 2010

avant que

Avant que j'oublie, je voulais dire que c'est par vague, toujours par vague ~~~ les beaux les belles (après) les suiveurs les suiveuses (après) après c'est un peu n'importe quoi des fois c'est bien des fois c'est nul (après) c'est long (vraiment long) un peu comme le désert sans eau (après) ça revient (après) je t'en dirai plus après, je n'ai pas fini.

2 déc. 2010

Non oui

C'est vrai tu peux te poser des questions / moi je serais toi je m'en p / mais non je veux pas dire que / c'est pas ce que je voulais d / mais des fois tu / c'est vrai admets-le / je dis pas que tu / mais non arrête ça sert à rien de / j'ai pas voulu dire ça / c'est toi qui entends mal / ce n'est qu'un / oui voilà je m'excuse c'est bon t'as gagné c'est ça que tu voulais / c'est ça que tu / toujours la même histoire / il n'y a pas à dire tu sais t'y / sois pas insultant je t'en prie ne commence pas j'ai pas dit mon / continue et tu vas voir de quel / quand tu commences ça s'arrête jamais /

30 nov. 2010

Les déserteurs

Peut-être finalement sommes-nous trop sages, peut-être suffit-il simplement d’être grossier, vil et insupportable. Aguerris, les hommes deviennent des soldats et leurs batailles se font dans les règles de l’art. Les déserteurs ne sont jamais reconnus, ils n’ont pas de tombe, ils sont oubliés et leur courage à ne pas « en être » n’a pas de prise sur l’Histoire. Que reste-t-il donc de ces hommes cachés dans les buissons, qui écoutaient les batailles éclater dans leur dos, les baisers des filles claquer sur les joues des vainqueurs et les pleurs retenus sur les tombes des vaincus ? Loin des honneurs et des félicités, par delà les hymnes chantés à tue-tête à la gloire de la quincaille des médailles que des généraux auront brocardé sur les vestes, par delà les joies, loin des libations des revenants esquintés, des rages tues auprès des corps décharnés par les plombs et les bombes, des prières larmoyantes faites en l’honneur de ces hommes morts avant même qu’ils n’aient pu éprouver sur leurs lèvres le baiser de la terre humide des champs de bataille, hors des fantaisies militaires plastronnées par des fanfares ronronnantes, il y a le silence de ces hommes déserteurs un peu honteux de ne pas y en avoir été, et leur intime fierté de ne pas avoir donné de soi pour les autres, une candeur ternie par leur solitude pleine de volonté et d’abnégation révoltée contre la barbarie qui sommeille en chacun, laquelle devient courage et raison d’être dès lors qu’elle a sa place dans le sens de l’Histoire. Ecartés de tout, des chants de joie, des cérémonies funéraires, ils vivent aux yeux du monde sans reconnaissance ni mérite, effacés de la mémoire comme des corps disparus, fussent-ils encore agités par le sang battu au tempo d’un cœur. Désormais muets volontaires puisque la parole leur a été octroyée et leur existence leur a été retirés, ils vivent ainsi abandonnés sans nom, en fantôme sans prise ne provoquant ni colère ni dégoût, ni amour ni compassion. Quel est l’avenir pour ces hommes qui se sont retirés des batailles, qui se sont exclus des rangs serrés des hordes ? Quel amour sera-t-il donné pour ces hommes et ces femmes qui ont disparu lorsqu’on leur demandait de conquérir des territoires, des affections, du conjugal ? Quel avenir pour les femmes et les hommes qui ont choisi de ne pas faire souffrir, de ne pas participer à la mascarade égocentrique des relations, malgré les jouissances qu’ils auraient pu en retirer, les plaisirs maigres des coups de queue de fin de soirée et les baisers au creux des draps froissés sans lendemain ? Quel plaisir éprouvent-ils, quels bonheurs en retirent-elles, quel souvenir demeurera-t-il de ces corps qui se sont retirés à pas feutrés, sans éclat ni morgue revancharde, sans chantage ni stratégie, par delà les victoires et les défaites ? Les soldats marchent en rang, mus par des volontés de victoire, allant au feu comme d’autres vont à l’amour. Aux yeux de l’histoire, les solitaires déserteurs n’ont pas d’importance, ils disparaîtront sans femme ni enfant, sans mari ni amant, sans même cette pierre qui marque sur le sol l’endroit où leur corps s’est retiré. Dans la terre, ils gisent comme d’autres dans des appartements, sans histoire ni passé.

28 nov. 2010

Note de fin de soirée

1. Il a dit: "Avec l'Europe, il n'y a plus de frontière, mais les frontières apparaissent aux portes des grands magasins, avec ces types de la sécurité qui te guettent comme des douaniers."

2. Social Network. Le type vide, transparent, on peut prétendre lire en lui tant il apparaît simple, en adolescent qui boit des bières avec ses potes et les filme dans la piscine. S'acharner à croire que son moteur est la rupture avec sa copine, c'est chercher une résolution un peu simpliste, c'est continuer à le percevoir comme un garçon transparent, presque vide. Il aurait les ambitions de son accoutrement -- au même titre que les personnes qui l'entourent, les "beaux gosses", les futurs financiers dans l'habit est l'image de leurs ambitions. Il ne faut pas s'arrêter à ses vêtements pour définir ses ambitions. Sa transparence est finalement opaque, trouble. Il est vide et il fait le vide autour de lui. Il mange du code. Il transforme la réalité, les réseaux sociaux en code. Il encode la réalité des relations -- j'aime, le mur, avec qui je suis, célibataire, c'est compliqué, etc. Faire un logiciel, un site comme Facebook, cela demande une analyse préalable de la réalité, comprendre comment le monde fonctionne. Il existe autant de compréhension du monde qu'il y a d'individus. Sa démarche est relationnelle, avec des paliers non-binaire -- la notion dans Facebook du "c'est compliqué" est géniale parce qu'elle laisse l'ouverture au chaos, avec un détachement taoiste. Avec Facebook, même le pire devient impondérable. L'effet addictif "je l'ai mis sur Facebook", on s'en détache, c'est là, c'est mis là, je peux faire autre chose maintenant. Une empreinte est une trace laissée par le poids de la personne qui marche, et c'est son poids (matériel) qui reste, avant la disparition. Comme si un appareil photographique avalait les couleurs des objets qu'elle prend -- il me semble qu'il y avait une campagne de publicité pour Kodak où quand les types prenaient des photos, les objets devenaient blancs "les voleurs de couleurs". Pour devenir transparent.
Le héros est un branque -- cf. ma page sur le prochain Coqtail, sur les branques (https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjOgWsfc61AOJn0_q8KHZcElLhuHhlJu1Q0ldZoggj2uqyMKFIhYnR5HrqSe763Ym6CFRgxkeBKp85XqWevoB9TKUON4zTliPP3HghxjyTpbiD5mQqYMz_5ZsBXHBv48YwXEcmGPw/s1600/15.jpg). Un idiot transparent opaque qui construit une machine. Facebook est un monstre et le dernier plan, où il demande en ami la fille qui l'a rejeté, où il appuie sans cesse sur F5 pour rafraîchir la page afin de savoir si l'ajout a été effectué est à voir comme un docteur Frankestein qui exciterait son monstre pour savoir si il bouge, si cela marche, si cela marche aussi pour lui. Si finalement, lui aussi est capable d'avoir des amis. C'est peut-être moins la fille qu'il teste que lui "est-ce que je suis normal, comme les autres, est-ce que je peux avoir des amis sur Facebook". Cf. l'épisode de South Park sur Facebook 0 friends (avec ce pluriel immuable, abyssal).
Autres points intéressants: le rafraîchissement (la simultanéité, le temps de latence); il mange du code. Le vide qu'il fait autour de lui, le vide qu'il semble avoir en lui (le tao), le long plan (le plus long du film, à l'ouverture) sur son trajet entre le café où il est éconduit et sa chambre, comme si c'était durant ce trajet que tout se passe, la machine qui marche en pensant, au pas de guerre.

le type-chantier

(...) Des décennies -- en heures accumulées -- représentant d'une espèce de population des métropoles d'Europe centrale récemment apparue : suite à la transformation des centres-de-repos sédentaires des grandes villes en aires-d'accélération, cette période voit apparaître un spécimen, lui aussi caractéristique du changement, de la disparation : le type-chantier : chômeur, apatride, tracassé.
Placé au coeur d'1 environnement de plus en plus excavé, architecturalement dénoyauté, autant perturbé que disfonctionnel -- se mettre-en-chantier signifie tout d'abord : entrer dans un pays, fracturer le présent & donc déterrer le passé : le retour des morts & l'effet retard de la mort dans le présent : bombes&munitions objets-trouvés des guerres passées ; futur provoqué : une quantité monstrueuse de bureaux & bâtiments industriels vides dont personne n'a l'utilité, la production de ruines en l'absence de guerre classique ; le gargouillis dans les câbles souterrains de la communication en réseaux, l'état non définissable du Monde-Binaire. C'est ainsi que ce type expérimente aujourd'hui le retour du temps dans l'image de la ville qu'on veut détachée du temps et sous la forme ironique de durée d'attente, de bouchons, de retards -- par conséquent comme une dominance surpuissante des caractéristiques féminines contenues de=tout=temps dans les représentations sociales. --
Le type-chantier apparaît comme le prototype du paranoïaque dans ce paysage de cratères régi par des règles-d'exception ; il a perdu tous les signifiants (les images historiques surabondantes & les symboles) -- l' 1 nique stéréotype à lui être resté est l'image de la destruction, à commencer par la destruction de soi.
Il est toutefois impossible de définir cliniquement cette espèce au sens classique, impossible depuis que le clinique, sorti de ses frontières a envahi la vie publique. Par conséquent, cette frontière-là, a également disparu.
Dans le cadre de la suppression croissante des frontières, le type-chantier caractérise la situation de l'inéluctabilité : la multiplicité des réalités et la confrontation à tout ce qui est hétérogène signifie la permanente dictature-de-l'identique ; tout ce qu'on trouve ici, on le retrouve également là-bas. Le type concerné ne représente aucune idéologie, d'ailleurs il n'en a pas, é de croyances encore moins, au mieux quelques restes & des ruines d'idéologies révolues [renvoi vers ext. Baudrillard], qui lui permettent à sa guise d'appuyer ses actes sur la fondation branlante de la causalité. La force de cette inéluctabilité est la haine comme élément autant intransitif que vital dans ce présent. Je hais, donc je suis. D'après les schéma de compréhension extrêmement rudimentaire de la criminologie, ce type ne présenterait que des similitudes extérieures avec le-tueur-en-série et les liens obligatoirement pathologiques qui vont avec.
A vrai dire ce type correspond au comédien dans le rôle de l'homme, qui a oublié l'ordre-de-la-dramaturgie (le retour du théâtre dans les réalités plurielles). -- Sa caractéristique principale est la réduction à 2 états psychologiques opposés à l'1:à:l'autre : la mélancolie -- la fureur. La perte et la destruction de la personnalité sont le résultat du combat interne entre ces deux courants inconciliables. Dans le cadre des convenances sociales, qui sont aussi des menaces, ces formes de rencontres d 'homme:à:homme se placent comme un élément incontrôlable de l'immédiateté, du hasard & de l'anarchique, par conséquent comme un élément de violence positive parce que créative.

Renégat, roman du temps nerveux. Reinhard Jirgl.


(Ne rien comprendre et garder:

A vrai dire ce type correspond au comédien dans le rôle de l'homme, qui a oublié l'ordre-de-la-dramaturgie (le retour du théâtre dans les réalités plurielles). -- Sa caractéristique principale est la réduction à 2 états psychologiques opposés à l'1:à:l'autre : la mélancolie -- la fureur. La perte et la destruction de la personnalité sont le résultat du combat interne entre ces deux courants inconciliables. Dans le cadre des convenances sociales, qui sont aussi des menaces, ces formes de rencontres d 'homme:à:homme se placent comme un élément incrontrôlable de l'immédiateté, du hasard & de l'anarchique, par conséquent comme un élément de violence positive parce que créative.

13 nov. 2010

12 nov. 2010

Liste C

Non mais c'est quoi ce bordel, tu peux me dire qu'est-ce que tu fais
t'emballes pas coco, range tout ton truc, ton matériel, moi j'ai jamais demandé ça
j'ai jamais demandé quoique ce soit et tu me refourgues tout ton bordel
moi j'ai rien voulu, moi je ne t'ai jamais sifflé et là tu ramènes ta fraise en face de moi
ta fraise là en face, tu viens gratter à ma porte, t'agites tes petits poings
tes petits doigts que t'avais mis dans ton nez avant
je t'ai vu, me prends pas pour un idiot, il n'y a pas pire, ils sont encore tout gluants
tes doigts de morve, il en reste encore un bout sous les ongles
comme les cheveux qui me resteraient si je venais à t'arracher la tête
allez va, c'est pas la peine de pleurer, non j'ai rien dit, c'est bon
je m'excuse, j'ai rien dit, c'est bon, calme-toi, je voulais pas
non mais j'ai rien dit, j'ai pas parlé, ça m'est sorti de la tête comme ça
ma bouche a dépassé ma pensée, rassure-toi, je t'en veux pas
il y a pas pire que moi tu sais, tu le sais c'est pour ça que tu me rends dingue
te voilà rassuré, pas encore, mais qu'est-ce que je dois faire pour que tu
que je me couche?, à genoux même je peux, si tu veux, moi je peux le faire
ça me fera du bien de me mettre à genoux, on voit le monde d'en bas
j'étais trop haut, t'as raison, voilà je suis à genoux et je m'excuse
pardonne-moi je te demande pardon oui je sais c'est horrible
pardon pardon pardon pardon pardon oui mille pardons de moi à toi
te voilà mieux je le vois, tu peux mettre des doigts dans le nez, c'est pas grave
je plaisantais, ça me dérange pas, j'en ai rien à faire, je suis bourré de principes
tu le sais, tu me connais, il ne fallait pas t'emballer, ça sert à rien tu le sais
avec moi il faut jamais me prendre vraiment sérieux, oui j'ai vu
je le vois ton truc sur le doigt que tu me tends, quoi tu vas pas me demander ça
t'es sûr, tu crois que j'en suis pas capable, pas ce truc qui vient de ton nez
c'est pas, tu crois pas que tu m'en demandes trop, t'exagères pas un peu, dis-moi
c'est pas parce que je suis à genoux que je dois tout accepter, pourquoi tu veux que
c'est pour que je prouve combien je te pardonne, c'est pas un peu trop demandé
par rapport à ce que j'ai dit, c'était juste des mots et toi avec ça
tu veux me le faire bouffer, bon d'accord je le fais mais après je peux me relever
 après ça ira, si tu le dis, on sera quitte et on pourra à nouveau reprendre où on en était
c'est pas très bon mais c'est ça le goût du pardon, ça a un peu le goût de la merde
voilà c'est fait, qu'est-ce que nous sommes bien, tu ne trouves pas,
c'est pas bien là, non?, t'en penses quoi, rien, je ne sais pas ce qu'il te faut
bordel, tu sais jamais ce que tu veux, t'es vraiment incroyable, jamais content
et moi qui fais des efforts, toujours, et toi jamais rien, sincèrement, de toiz'à'moi
tu me prends pour la dinde de la farce, je te comprendrai jamais, vraiment jamais
et s'il te plait, est-ce que tu peux ranger tout ton bazar parce que j'en peux plus
vraiment je vais exploser et ça sera fini, et faudra plus venir me demander pardon
parce qu'il sera vraiment trop tard, la goutte qui fait déborder le vase
tu me pousses à bout là, tu me pousses à bout et moi je vais t'en faire voir
t'en faire baver, faudra plus rien me demander, tu l'auras bien cherché.

10 nov. 2010

Didier, Bruno, Patrice

Ses épaules trop larges pour sa taille font de lui un homme court sur patte, et les jeans qu'ils portent sont mal ourlés, ce qui réduit la longueur de ses jambes à cette rupture abrupte du pantalon -- comme le dit l'expression "coupé l'herbe sous le pied" -- l'ourlet flottant au-dessus d'une paire de chaussures en faux-cuir et de chaussettes de tennis blanches. Il a la tête carrée avec un casque de cheveux courts et sombres, un visage mutin, des yeux noirs qui vous regardent inlassablement et dont l'insistance vous fait baisser la tête -- et quand vous la relevez, il continue à vous regarder. Vous pourriez croire qu'il s'intéresse au livre que vous lisez, qu'il prend note sur chacun des usagers du bus comme vous le faites, mais son regard est creux, sans but, vain, comme un automobiliste regarde à la fenêtre par ennui. Vous êtes un paysage sans intérêt.

Le seul objet qui anime son regard, l'éclaire d'une lumière, ce sont les femmes. A son regard, on sait qu'il est célibataire et qu'il se masturbe sur des films pornographiques une fois chez lui. Il regarde les filles longuement, sans fin et sans souci d'être surpris. Il sait qu'elles ne disent rien et qu'elles se contentent de tourner la tête -- ou bien au contraire: il les a tellement regardé, insatiablement, sans discontinuité, à en avoir la tête qui tourne et l'œil qui pleure, qu'il a oublié que les femmes ne disent rien et tournent la tête, qu'il ne sait plus, ne connait plus les règles, comme un ours affamé par des mois d'hibernation ne frappe pas à la maison où il veut entrer. Il se retourne sur elles, de la tête au pied les passe au crible, se penche même pour mieux voir le visage de la paire de bottes qui l'affolent, et quand il a saisi le petit détail, il pince machinalement la fermeture éclair de son blouson avec satisfaction. 


Il doit s'appeler Didier ou Bruno ou Patrice, et dans les couloirs de son entreprise où il est employé à la réception des colis ou à la maintenance premier niveau du bâtiment, il doit raser les murs, traînant à la machine à café dans l'attente de croiser la secrétaire qui y a ses habitudes, jetant de temps en temps un œil vers le bureau de la stagiaire, pour voir si elle a mis cette mini-jupe bleue qui dévoile le haut de ses grosses cuisses quand elle croise les jambes. Il aimerait la baiser comme l'on bouffe des plats en sauce mais le soir chez lui, il doit se contenter d'un plat de nouille accompagné d'un pané de poisson surgelé.

9 nov. 2010



Un jour tu partiras, tu traverseras plus de villes que ta vie comptera de jours, plus d'amours que tes mains ont de doigts, tu traîneras derrière toi le cimetière des morts que tu auras rencontrés, tu garderas dans ton sac la tête de l'homme que tu tueras un soir de fête.

Tu auras les joues lisses polies par le vent, les yeux pleurant le sable des déserts et les mains grasses de la terre que tu auras creusée pour cacher tes trésors de guerre.

Un jour tu reviendras
                                tu auras changé
                                tu seras plein de mystères et tu n'auras plus rien à dire,
                                la vie rend muet celui qui ne sait pas raconter.

Et je te dirai
quand je t'avais dit "prends à gauche", je voulais dire 
"prends à droite"

Je me serais bien amusé de toi et j'attendrai ta gratitude -- sans moi, les continents seraient encore inconnus, les étoiles n'auraient pas de nom, la terre ne serait pas ronde.

Tu ne diras rien, l'amertume t'enterrera, tu voudras me voir mort, le ventre ouvert, les tripes autour du cou. Tu voudras te faire faucon mais la terre t'aura rendu humble oisillon -- tu auras bien raison de me vouloir comme cela, mon corps sous les crachats, ma tête pleine de sang. Tu auras parcouru tout ce chemin pour être trahi. "Il n'y a pas de loi qui interdit la malchance", tu me diras.

Tu m'as toujours demandé, maintenant tu sais.

Tu repartiras. Cette fois-ci en prenant par la droite, peut-être parce que tu sauras que le chemin de gauche t'avait ramené à moi.

5 nov. 2010

4 nov. 2010

Hé!

Salut,

Ça va, toi? Sur Facebook, il y a Précipité Danvers qui a mis un morceau de Squarepusher et de fil en aiguille, j'en suis arrivé à écouter Aphex Twin et j'ai compris pourquoi je me sentais un peu bizarre depuis quelques jours. Ça passera certainement. Faut pas chercher plus loin, mon vieux, c'est un peu (surtout) la tienne, cette musique. La tête de Richard D. James, c'est un peu la tienne, la gentillesse sous les grimaces, les mimiques qui veulent faire peur mais qui font rire.
Je me souviens que le jour où t'es parti, je me suis dit que tu ne verrais jamais la fin de The Shield. Je te le dis: à la fin, il ne meurt pas.
J'ai appelé Eric pour aller boire une bière mais il est visiblement pris ailleurs. Chez moi, c'est le chaos, faudrait vraiment que je range, ça ne devient plus vivable. Et puis mettre de l'ordre, ça remet les idées en place, ça permet d'avancer même si parfois on n'a pas envie de faire un petit pas de plus, juste se contenter de rester dans son fauteuil à regarder des vidéos idiotes et écouter de la musique. Parfois, on a bien le droit de s'asseoir, on le mérite bien. Tous les jours, on se démène, on court dans tous les sens, on poursuit ce que l'on a à faire parce que c'est ça qui nous porte, bien que la charge nous paraisse parfois un peu lourde.
J'irai bien danser. Party Boy, tu t'en souviens?
J'ai bien aimé Thomas qui racontait le type qui lui demandait "mais t'en vis de la musique?" Ils nous font chier, les gens. Bande d'andouilles. Ils se racontent des histoires. Mais il n'y a pas d'histoire.

2 nov. 2010

tirer de bord

1. Enlever, rajouter, enlever, rajouter, enlever, rajouter, enlever à nouveau et rajouter encore, un cycle frustrant qui a duré des mois, durant lequel rien n'a semblé avancer -- ça me rappelle ces mouvements que doivent faire les bateaux à voile pour aller contre le vent -- tirer de bord, dit le matelot. Et puis enfin, le vent tombe, ou du moins le rafiot a retrouvé son cap, la mer est bonne, le vent n'est plus contraire, ça file bon train -- ça commence à ressembler à quelque chose.

1b. Ecrire sur des poubelles.

1c. L'institut comme lieu de confrontation avec le monde extérieur -- et la violence des citadins que l'on veut faire taire en opposition avec la violence muette des pavillionnaires.

2. Idée de projet absurde: chroniquer méticuleusement chaque album de Sun Ra. Rejetée. Commande du bouquin Un noir dans le cosmos. C'est en m'intéressant avec plus d'attention au free jazz que j'apprends les décès récents d'un certain nombre d'eux: Marion Brown, Noah Howard. Toujours cette frustration d'arriver après coup -- au moins avec Dylan, je serai là pour pleurer l'homme et mesurer l'importance de sa disparition.

2b. Autre projet absurde: reprendre certains morceaux des Béruriers Noirs avec mon accordage blues (open tuning C).

3. Non.

4. Oui.

5. Oui, encore oui, et oui.

6. Fury de Lang. La colère, la société, le temps presque arrêté des premières séquences (le type qui galère avec sa copine qu'il ne voit qu'épisodiquement). L'espace-temps réduit à celui de la tragédie.

21 oct. 2010

la tangente

1. Tout ça, tout ce que tu proposes, tout cela, ce sont des formes très convenues. Tu ne sembles être jamais fatigué, tout est toujours très droit, il n'y a jamais d'affaissement, jamais de corps qui tombe, tout tient debout, ton mouvement est une ligne, même une courbe chez toi ne propose pas de tangente.

2. Prendre la tangente. Apprécier le tangente. Si on a tous notre propre prison, la tienne est la ligne et la mienne est certainement la tangente.

3. Nous nous posons des questions et les réponses que nous trouvons nous sont connues, nous les connaissons par avance.  Nous ne répondons pas à ces questions, nous affirmons nos réponses et elles nous enveloppent. Tu réponds rarement par "je ne sais pas". Tu as toujours une réponse à tout problème.

4. Tu lis le ciel, je regarde les étoiles.

5. Prendre la tangente.

23 juin 2010

Liste des choses qui énervent

1. la femme qui entre dans le compartiment vide et qui vous demande sans politesse si c'est le bon train -- vous lui répondez, elle n'écoute pas votre réponse, va s'asseoir et entame une discussion téléphonique -- le genre que l'on repère de très loin, avec cette perpétuelle demande d'être rassurée sur tout et n'importe quoi, à savoir si c'est le bon train, si son fils qu'elle a laissé à la maison dort encore -- lequel décroche et répond qu'il ne dort plus, qu'il ne dort évidemment plus puisqu'elle vient de le réveiller -- la personne qui en a juste rien à foutre du monde dans lequel elle vit tant que celui-ci répond à ses inquiétudes -- le monde vu comme un parent rassurant, non comme un ami, un amant, voire même un ennemi, mais juste comme ce parent qui répond à tous les caprices et ne cesse de conforter dans une position de servitude. Ce qu'il y a d'étonnant dans cette réflexion sur le vif, c'est que la femme qui est entrée dans le compartiment ce matin, avait en main un petit thermos, parfait substitut du biberon.

13 juin 2010

Liste B

Le rythme
les mots
le sens entre les mots entre le doigt et la peau entre le doit et le veut
entre les mots il y a l'espace pour une respiration
le temps creux
ce qui est mou ce qui est dur ce qui est chaud froid
ce qui est caoutchouteux
plastique flan poche sac d'eau
orange citron vert banane cerisier
fleurs soleil ciel nuit pluie vent juin -> mai -> avril -> mars -> février
anniversaire naissance
"tout n'est que n'essence"
un jour mon fils 
(avec le pétrole, on fait des miracles -- tu parles)
ritournelle
batterie sticks grosse caisse tambourin frisés papa-maman
papa
maman
frotter gratter caresser taper finir sur un roulement 
mollement
taper fort tape fort
mords suis pleure 
finis achève ce qui est mou
n'en fais rien de dur juste souple
qui mange les couleurs les renvoie 

le temps de mettre la main devant la bouche pour ne pas vomir



2 juin 2010

Sangre, la nostalgie, écrire et lire

1. Sangre de Escalante -- ou comment les mexicains jettent les morts à la poubelle.

(Il est difficile de savoir si c'est l'imagination ou le contexte judiciaire qui a tenu la main de l'auteur pour la fin du film -- le cadavre d'une femme est vulgairement jeté dans une décharge publique; 2666 de Bolano rappelle les effroyables assassinats de femmes que le Mexique a connu durant la même période que celle du film, et il me semble évident que cette scène ramène le film à la réalité la plus crue -- alors même que l'empaquetage de la victime paraît surréaliste tant le personnage garde son sang-froid.)


2. La nostalgie.

25 mai 2010

Liste A

Le cinéma roumain
le cinéma soviétique Tarkovski Le Miroir Le Sacrifice L'avventura Antonioni
Bergman L'Heure du Loup
La Nuit du Chasseur le sourire de la petite fille la voracité du monde
le manque de sens l'immoralité de certains sentiments la fin de la moralité
la fin de la morale le commencement d'une chose sa fin la mort la vie
le désir le sexe la peau le vent les yeux les sourcils
le frottement des cils sur l'oreiller
le son du frottement des cils sur l'oreiller comme la neige que les pas écrasent
les traces laissées en un chemin et les pieds en tant que contrepoint
de l'espace à parcourir
le monde la terre
le monde que je ne parcours pas
le monde que j'ai parcouru
celui que je parcourrai
l'océan les vagues les phares
les oiseaux dans le vent flottent à travers la vitre
l'amour la haine le vide le silence
Le Silence
la musique la joie La Passion Selon Saint-Jean La Passion Selon Saint-Mathieu
un concert son public l'attention portée à des détails
l'oubli des détails (malgré l'éternité où l'oeil les enferme)
la grâce le mouvement les respirations le mouvement des respirations
les plis des costumes des interprètes
le silence la note qui meurt les couleurs les timbres les cuivres le bois le feutre (...)

19 mai 2010

Retour

1. Depuis quelques jours, je repense beaucoup à toi. Je lie ton retour en moi au fait que mon travail actuel s'est remis en marche et avance à bonne mesure, ce qui me permet d'envisager déjà mon prochain projet. Lorsque j'ai commencé à y réfléchir, il y a plus de cinq ans maintenant, je ne savais pas que la plupart des personnages existaient déjà en ta personne, dans ton entourage, dans ce monde dans lequel tu vis, que j'estime être merdeux et pour lequel j'éprouve une profonde et viscérale haine. Et me rapprocher de ces personnages, me renvoie forcément à toi et à l'amertume que j'éprouve à ton égard. Tout cela n'est pas très glorieux de ma part, mais je sais que c'est un passage obligé. 
Les efforts que vous devez fournir pour être simplement drôles sont éloquents. Si vous ne vous preniez pas autant au sérieux dans votre propagande à caractère comique, je pourrais rire avec vous; mais vos farces sont tellement pathétiques, sont tellement ancrées dans la Morale, le Religieux, le goût de l'Absolu -- alors que vous vous défendez de fonctionner selon ces  principes -- que je ne peux que rire de vous. 
Je me disais hier soir en m'endormant que le nihiliste, c'est celui qui prétend être libre alors qu'il ne cesse de vivre dans le schéma du Bien et du Mal. C'est sa volonté d'être libre qui le retranche dans le Bien et le Mal, qui l'isole. Le tragique de l'histoire n'est pas de vivre dans le manichéisme Bien/Mal -- la littérature s'est nourrie de cette question (cf. Faulkner, Dostoievski, etc.) -- mais de prétendre en être libre. Comme je me méfie de la personne qui prétend ne pas être raciste ou être drôle, je me méfie toujours de la personne qui prétend être libre.
En écrivant cela, je me rends compte que ce que je ne supportais pas chez toi, c'est ce que tu prétendais être et prétends être toujours. C'était amusant: comme tu savais que je n'aimais pas les personnes qui se disent "être drôles", tu tâchais de ne pas trop te prétendre drôle, même si parfois tu lâchais des choses comme "j'ai dit un truc vraiment drôle" -- suivi de "mais ils n'ont rien compris", suivi de "ils sont trop cons". 
J'exagère, tu n'étais pas aussi extrême.

2. Je vais continuer à creuser ta tombe.

19 mars 2010

Nature naturante / Nature naturée

Macherey, Introduction à l'Ethique de Spinoza, La première partie, la nature des choses
 
"La nature naturée ne succède pas à la nature naturante, de la manière dont l'effet succéderait à sa cause au point de vue d'une conception "transitive" de la causalité qui les détache de l'un de l'autre, (...), mais elle lui est simultanée, et ne peut en être séparée. Selon la leçon essentielle donnée par la proposition 15,

Tout ce qui est, est en Dieu, et sans Dieu, rien ne peut  ni être, ni se concevoir

toutes les choses, qui sont les conséquences de l'action divine, sont "en Dieu seul" (in solo Deo): c'est pourquoi nature naturante et nature naturée sont une seule et même nature, considérée à deux points de vue différents. Ceci exprime simplement le fait que les effets ne peuvent, par définition, être conçus de manière séparée, en eux-mêmes, donc indépendamment de leur cause, qu'ils impliquent et qui s'exprime à travers eux."

"Nature naturante et nature naturée sont en quelque sorte les deux pôles extrêmes de ce processus: la nature, en tant qu'elle est ce qui "nature", et s'identifie par là à la puissance de Dieu qui est l'expression directe de son être, est, considérée du point de vue de ce qui constitue l'origine de son activité, "naturante"; et le produit de cette action, donc son résultat ou son effet, est la même nature en tant qu'elle est simultanément "naturée", c'est-à-dire découle de la dynamique de cette puissance qui a son principe dans la nature des choses.

(...)

En effet, il n'y a pas deux ou plusieurs natures, mais une seule puisque Dieu produit toutes choses en lui-même, conformément à sa propre nature qui est d'être tout en soi."

Scolie de la proposition 29:
Avant d'aller plus loin, je veux expliquer ici ce qu'il nous faut entendre par Nature naturante et Nature naturée, ou plutôt le faire observer. Car j'estime que ce qui précède a déjà mis en évidence que, par Nature naturante, il nous faut entendre ce qui est en soi et se conçoit par soi, autrement tels attributs de la substance, qui expriment une essence éternelle et infinie, c'est-à-dire Dieu considéré en tant que cause libre. Et par naturée, j'entends tout ce qui suit de la nécessité de la nature de Dieu, autrement dit de chacun des attributs de Dieu, en tant qu'on les considère comme des choses qui sont en Dieu, et qui sans Dieu ne peuvent ni être ni se concevoir.



10 févr. 2010

l'énigme

-- J'aimerais que tout cela s'arrête, tu comprends? Tu comprends, dis-moi? Cela fait dix mois que j'y suis dessus, marchant avec, dormant avec, mangeant, chiant, pissant avec. J'aimerais prendre des vacances de cela, j'aimerais l'oublier un peu. Quand je regarde devant, j'en vois la fin, mais quand je me retourne, je vois tout le chemin qu'il me reste à parcourir -- parce qu'une fois arrivé, il me faudra revenir en arrière -- n'est-ce pas ainsi que se tracent les chemins, un seul passage ne suffit pas, plusieurs sont nécessaires pour que ce chemin permette au promeneur d'être au plus près du monde qu'il parcourt.
-- Le chemin comme étant la peau, la fine pellicule qui sépare le promeneur du monde.
-- Me crois-tu si je te dis que ce soir, je suis las. Pourtant, il y a quelques jours, j'entrevoyais ce qu'il devait être et il était à la portée de ma main, palpable, évident. Et maintenant, tout redevient compliqué, laborieux. Tu sais très bien que je n'abandonnerai pas, tu peux me faire confiance. Mais n'ai-je pas le droit de me sentir impuissant, même si je sais que tu n'aimes pas me voir ainsi, trainant des pieds, disant que tout cela n'a pas autant d'intérêt que cela.
-- Oui, tu peux le dire. Je te le permets. Je te l'autorise. Je crois qu'en résolvant l'énigme, tu as mis, en quelque sorte, fin à tout cela.
-- J'ai le cerveau prêt à exploser. Je serais sur un divan, en analyse, ma bouche serait un corps et ma parole en serait une jouissance qui le traverserait, infiniment. C'était une belle énigme, si simple, si pure.
-- Tu n'y croyais pas vraiment lorsque tu as eu la solution. Je crois que cela t'a épuisé. Et c'est pour cela que je t'autorise à un peu d'impuissance, à un peu de repos.
-- Chouette.

La gentillesse

3 févr. 2010

Queen Jane

Certainement un jour, on te racontera la colère que j'ai pu ressentir à cette époque -- cela ne sera pas moi, cela sera une personne que je rencontrerai dans un café, et au cours de notre discussion, nous découvrirons que nous te connaissons tout deux, elle au présent et moi dans un passé qui me reviendra douloureusement par bribe, à mesure que mes souvenirs de toi referont surface. Je lui parlerai de ce jour, de cette heure, je lui raconterai des anecdotes à ton avantage, je ne pourrai cacher l'émotion gardée intacte en brossant certaines images. Je ne lui dirai pas tout, je tairai les secrets qui nous liaient alors et que je conserverai jusque dans ma tombe. Cela sera ma façon de te garder auprès de moi.
D'un air détaché, tu l'écouteras te parler de moi -- tu lui demanderas ce que je deviens, si je vais bien et ce que je fais maintenant -- notre connaissance commune brossera en quelques mots ce qu'elle sait, n'entrant pas dans les détails puisque tu n'insisteras pas réellement pour en savoir plus -- tu auras gardé cette distance qui tordait mes phrases en plaisanteries douteuses, en rires gras, en bêtises. Maintenant je me tais, tu ne m'entends plus. J'écoute cette chanson de Bob Dylan qui raconte l'histoire d'une fille appelée Queen Jane qui décide de tout arrêter, de sortir de ce système où des donneurs de leçon essayent de la convaincre de sa douleur, estimant que ses conclusions sur elle-même devraient être plus drastiques, où elle est fatiguée d'elle et de ses créations, où des scélérats auxquels elle n'a cessé de tendre l'autre joue tombent leurs masques et se plaignent d'elle -- tout ce que veut Queen Jane, c'est sortir de là et rencontrer quelqu'un auquel elle n'est pas obligée de parler. Won't you see me, Queen Jane répète Dylan, inlassablement. Non, je n'irai pas de te voir.