28 déc. 2008

germination d’autre chose

1. La germination: je ne sais pas si Michel Deleuze le jardinier, fin passionné des rhizomes, avait pris connaissance du phénomène de germination. La phase commence lorsque la graine entre en contact avec l’eau et s’arrête lorsque la plante devient autotrophe (càd se suffit à elle-même dans son environnement).

Tout nous semblait promis — nous avions l’envergure de ces grands oiseaux qui saisissent un territoire bien plus qu’ils ne le survolent, allant si vite en tout sens, en toute direction, que l’on peut dire que leurs ailes sont aussi grandes que ce territoire — nous nous aventurions partout, dans chaque recoin de chacune des ruelles que cette ville possédait, pénétrant les entrailles jusqu’à en traverser les parois — ne nous contentant pas seulement d’aller sur la peau métropole mais de la saisir, de la caresser, de la griffer, agissant dessus avec douceur ou rage, ambition ou désarroi; elle était le point d’horizon de nos existences et nous la baisions comme un corps malade baise le vivant, au-delà de l’épuisement jusqu’à la jouissance.

2. Etre autre chose — le pianiste qui ne peut devenir compositeur (parce qu’il ne peut oublier le scolaire et parvenir à la grâce du geste de la composition (les œuvres scolaires ne font pas œuvre) — se voit offrir deux solutions: accepter l’état de fait, ou devenir autre: un ni-compositeur ni-pianiste.

3 déc. 2008

décembre

1. Novembre 2008, l'épuisement d'une forme & l'apparition d'une autre (non pas nouvelle, neuve, mais déjà existante dans la précédente, en sommeil, en refus -- comme la pudeur dissimule l'affect.

2. La forme achevée là: ses derniers souffles sous mes yeux, et le reste du monde qui vient nous rappeler que c'est ainsi qu'il doit être -- les têtes mises de côté qui reviennent plusieurs fois par semaine, comme si le temps & l'espace se réunissaient adéquatement -- ainsi doit être une rencontre: le temps, l'espace, l'autre & nous (moi) qui se réunissent adéquatement.

3. Et la disparition reconstruit le monde, dessine de nouveaux territoires -- on peut se laisser glisser vers ces espaces qui s'ouvrent, puisque d'autres se sont refermés avec la disparition. Se replier dans l'espace qui se referme, c'est rester forclos dans le temps mort, dans le temps de la nostalgie, celui qui n'appelle pas à la vie. L’inverse: célébrer la mort, appeler les souvenirs -- "et c'est ici que tout reprend".

4. "C'est bien" -- voilà ce que je me suis dit, "c'est bien", en acquiescement de la tête.

5. Et continuer à écrire sous mon nom, c’est-à-dire sous un autre (Ici, 3.), (Là, 1.), c’est la conclusion de la nouvelle cyclocosmique.

6. Demander à ‘ceska de devenir ma lectrice de mon précédent bordel.

(…) Peut-être finalement sommes-nous trop sages, peut-être suffit-il simplement d’être grossier, vil et insupportable. Aguerris, les hommes deviennent des soldats et leurs batailles se font dans les règles de l’art. Les déserteurs ne sont jamais reconnus, ils n’ont pas de tombe, ils sont oubliés et leur courage à ne pas « en être » n’a pas de prise sur l’Histoire. Que reste-t-il donc de ces hommes cachés dans les buissons, qui écoutaient les batailles éclater dans leurs dos, les baisers des filles claquer sur les joues des vainqueurs et les pleurs retenus sur les tombes des vaincus ? Loin des honneurs et des félicités, par delà les hymnes chantés à tue-tête à la gloire de la quincaille des médailles que des généraux auront brocardé sur les vestes – avec la fierté d’une jeune mariée enfilant sa jarretière –, par delà les joies, loin des libations des revenants esquintés, des rages tues auprès des corps décharnés par les plombs et les bombes, des prières larmoyantes faites en l’honneur de ces hommes morts avant même qu’ils n’aient pu éprouver sur leurs lèvres le baiser de la terre humide des champs de bataille, hors des fantaisies militaires plastronnées par des fanfares ronronnantes, il y a le silence de ces hommes déserteurs un peu honteux de ne pas y en avoir été, et leur intime fierté de ne pas avoir donné de soi pour les autres, une candeur ternie par leur solitude pleine de volonté et d’abnégation révoltée contre la barbarie qui sommeille en chacun, laquelle devient courage et raison d’être dès lors qu’elle a sa place dans le sens de l’Histoire. Ecartés de tout, des chants de joie, des cérémonies funéraires, ils vivent aux yeux du monde sans reconnaissance ni mérite, effacés de la mémoire comme des corps disparus, fussent-ils encore agités par le sang battu au tempo d’un cœur. Désormais muets volontaires puisque la parole leur a été octroyée et leur existence leur a été retirée, ils vivent ainsi abandonnés sans nom, en fantôme sans prise ne provoquant ni colère ni dégoût, ni amour ni compassion. Quel est l’avenir pour ces hommes qui se sont retirés des batailles, qui se sont exclus des rangs serrés des hordes ? Quel amour sera-t-il donné pour ces hommes et ces femmes qui ont disparu lorsqu’on leur demandait de conquérir des territoires, des affections, du conjugal ? Quel avenir pour les femmes et les hommes qui ont choisi de ne pas faire souffrir, de ne pas participer à la mascarade égocentrique des relations, malgré les jouissances qu’ils auraient pu en retirer, les plaisirs maigres des coups de queue de fin de soirée et les baisers au creux des draps froissés sans lendemain ? Quel plaisir éprouvent-ils, quels bonheurs en retirent-elles, quel souvenir demeurera-t-il de ces corps qui se sont retirés à pas feutrés, sans éclat ni morgue revancharde, sans chantage ni stratégie, par delà les victoires et les défaites ? Les soldats marchent en rang, mus par des volontés de victoire, allant au feu comme d’autres vont à l’amour. Aux yeux de l’histoire, les solitaires déserteurs n’ont pas d’importance, ils disparaîtront sans femme ni enfant, sans mari ni amant, sans même cette pierre qui marque sur le sol l’endroit où leur corps s’est retiré. Dans la terre, ils gisent comme d’autres dans des appartements, sans histoire ni passé. (…)

13 nov. 2008

lundi

1. Aujourd’hui, mercredi 13 novembre 2008, nous sommes lundi.

2. Il y a des périodes comme celle-ci, où le calendrier subit quelques distorsions. Ensuite, le temps reprend sa mesure, nous nous immisçons à nouveau dans ce jour qui commence avec le réveil et fini avec le coucher – entre les deux, il y a des heures qui passent, avec des choses qui se produisent, mesurablement agréables, désagréables. Nous recollons avec ce qui existe.

3. Là, c’est juste la déconnexion. Après quelques jours où l’avalanche de signes faisait connexion avec des possibles, subitement, retomber face à l’appareil d’état; la révolution ne devient plus possible – du moins pas dans sa forme imaginaire (puisque la révolution n’est la plupart du temps que la mise en scène de son impuissance à changer ce qui l’anime).

4. Alors nous resterons sur nos gardes; pas de méprise sur le bon & le mauvais, sur le vivable, sur ce qu’il y a à voir, à faire, à ne pas faire.

5. Nous sommes des territoires (je suis un pays).

6. Nous avons chacun nos langues, nos frontières, nos économies, nos diplomaties. Il y a les neutres, les puissants, les suiveurs, ceux qui partent en guerre, ceux qui se réforment, ceux qui n’entendent rien. Il y a l’histoire, ses révolutions, ses fins de siècle, le faste des grands régimes, la médiocrité atavique. Je suis un pays qui vient d’un autre pays, ainsi sans fin. Nous avons ou non déclaré l’indépendance avec ce premier pays, nous nous en sommes détachés ou non, en avons gardé des bons rapports diplomatiques, des contentieux sans fin.

7. Nous défendons nos territoires.

(…)

8. La blague du soir: je vais directement passer à la seconde bière.

9. Un jour, tu avais un bouton sur le visage. Quand tu le pressas entre l’ongle de ton pouce et celui de ton index, il n’en sortit rien.

28 oct. 2008

Joe Matt, les pre socratiques & nous

Quelques notes rapides à propos de Joe Matt. M’est avis qu’il y a un bon article critique à écrire sur son œuvre. Grosses lignes:

- Joe Matt & la dualité Bien/Mal

- Joe Matt: la puissance & l’épuisement

1. Juger Joe Matt comme un sacré connard, c’est la première réaction que l’on pourrait avoir à la lecture de ses comics, et c’est probablement l’objectif premier recherché par l’auteur. Ceci, du moins, si l’on adopte le point de vue de la morale – le Bien, le Mal.

Cette morale, cette dualité Bien/Mal, traverse son œuvre. Elle prend racine dans son éducation catholique et n’a de cesse de le poursuivre. “Qu’est-ce que j’ai fait, je suis un monstre, etc.”, sont des phrases qui reviennent souvent dans les bulles de Joe Matt. Il n’a qu’une volonté: non pas celle de parvenir à ne faire que le Bien (un temps il croit y parvenir mais très vite, sa nature le rattrape), non pas celle de devenir un bon gars, mais d’échapper à la dualité Bien/Mal. Joe Matt s’affiche actuellement bouddhiste, et il semble avoir trouvé le chemin.

2. Joe Matt oscille constamment; il ne cesse d’aller & venir, d’aimer et de haïr; il investit et désinvestit ses relations. Son rapport à l’argent: non pas la radinerie, comme on pourrait le juger à première vue, mais l’argent perçu comme ce qu’il est réellement, une nécessité. Joe Matt est un animal et la ville est son territoire; il mange ce qu’il y a à manger, il économise ce qui est possible de l’être. On se dit, en le voyant racler les assiettes de ses amis qu’il est le type effectivement le plus rapace qui existe, et qu’il n’a surtout pas peur de se rendre ridicule. D’une part, il serait vraiment radin, il ne serait pas collectionneur-fétichiste de vieux comics, d’autre part, l’argent n’est pour lui pas un prestige, mais un moyen de subvenir. (D’ailleurs, sur ce point, on tombe sur un paradoxe: comme un type dont on dit qu’il est égocentrique pourrait se rabaisser aussi misérablement à quémander du pain, à se présenter comme étant un pauvre type.) Sa prétendue radinerie devrait plutôt nous pousser à nous interroger sur le rapport que nous entretenons avec l’argent et la société. Quel rôle donnons-nous à l’argent dans cette relation que nous avons avec la société (dans la triangulaire: moi-argent-société). Est-ce un rapport de puissance, de pouvoir, d’asservissement, …

3. Joe Matt nous fait rire parce que nous portons sur son œuvre notre regard d’occidentaux formaté bien malgré nous par le Bien, le Mal, une certaine simplification qui réduit ses oscillations à du simple binaire: 0 – 1, Bien – Mal, là c’est un bon type, ici c’est un pauvre type. On le voit courir partout, on le voit indécis, mais on ne voit pas qu’il oscille, qu’il est en mouvement continuel, qu’il n’est pas Bien, Mal, mais une variation, un mouvement.

Son dernier bouquin est très immobile; deux oscillations: l’une très faible entre “oui, non le porno”, et l’autre, narrative, entre le passé et le présent. Le reste se passe principalement dans sa chambre.

4. Son dernier livre: Epuisé (Spent en anglais, qui se traduit aussi par “depensé”). Page 10: son ami Seth veut acheter la bédé que Joe Matt a trouvé avant lui et que ce dernier ne veut pas lui céder:

Joe Matt: “C’est pas une question d’argent. Ce livre représente une période du dessin de presse à laquelle je commence tout juste à m’intéresser. Tu agis comme si je devais te PAYER un droit de passage!”.

Seth: “Tu as raison… c’est pas une question d’argent, mais de POUVOIR”.

Joe Matt: “Pouvoir ?”

Seth (mimant un billet de banque): “OUI! Ce petit morceau de pouvoir que tu t’octroies en me narguant délibérément!”

Joe Matt: “De quoi tu parles? T’es juste dingue parce que je l’ai trouvé en premier.”

Seth: “Un petit morceau de pouvoir”.

&c., &c.

Joe Matt est en décalage avec la société et nous rions de le voir se planter parce que nous ne percevons pas les codes de son univers. Son ami Seth sert de parfait avocat d’une vision manichéenne à laquelle Joe Matt s’oppose.

Seth: “Tu penses que tout le monde devrait avoir les mêmes opinions que toi et que si c’est pas le cas, ils n’ont qu’à y parvenir”. Ici, Seth cherche délibérément à faire passer Joe Matt pour un tyran alors même que Seth ne cesse de défendre une vision normative, moraliste.

Nous retrouvons ici une situation qu’on retrouve aussi dans Curb your enthusiasm.

&c., &c.

5. Elever Joe Matt au rang des cyniques pré-socratiques ? Pourquoi pas!

20 oct. 2008

opening

1. Les quelques notes sifflées par un type dans la rue sont aussi importantes que Faulkner.

2. Rien.

3. Fatigue sur Damiens, à essayer de comprendre ce qu’il n’y a pas vraiment à comprendre. Doute, nullité, merde, &c., manque de flow, &c.

4.

5. RIen.

19 oct. 2008

videoclub

1 A l’époque, il y avait le vidéoclub de la rue de la Colombette; vous vouliez voir/revoir un Hawks, un Cassavetes, vous y alliez, ils étaient toujours disponibles – rayon du bas, sous la poussière.

2. Elle est là à vos côtés, quand vous marchez dans ces ruelles bondées d’amies, d’ivrognes chevrotants criant à la volée, elle vous suit là dans les cafés, dans les librairies, dans l’obscurité des salles de cinéma, près de vous elle est cet espace qui sépare votre coude de celui de votre voisin, dans les parcs elle est le silence croisé avec les chiens errants, elle vous entoure à la transparence des aurores mais la plupart du temps vous ne la voyez pas, vous ne l’éprouvez pas, bien qu’elle soit toujours ici, délimitant sans entrée possible votre territoire de paroles, d’actes, de gestes menaçants de la main, d’accolades franches. Et dans les théâtres où l’on applaudit en cœur, elle se terre au creux des strapontins, dans ce fauteuil où vous lisez un livre, parmi ces foules où vous scandez des chants grossiers, elle est toujours ici et s’évanouit parfois au temps des confidences. Elle se faufile comme votre ombre partout où vous allez et elle est d’autant plus à vos côtés quand dans le lieu où vous êtes vous n’y êtes pas réellement, elle vous suit ainsi partout, dans les couloirs de l’immeuble où vous travaillez et ceci jusque dans votre lit, insidieuse et permanente, muette à la démarche légère mais aux bras vigoureux à l’enlacée, invisible à celui qui ne veut pas la voir, mais ne pas la voir c’est déjà connaître son existence, et lorsqu’elle vous apparaît c’est alors dans le fracas d’une déchirure, votre corps se resserre soudainement sur vous, à l’étroitesse de vos mouvements, de votre liberté mesurée et apparente, et sa densité est telle que vos membres alors fléchissent, vos jambes lourdes traînent et lasses suivent la procession des esclaves, pris dans l’étau de cette carapace où vos bras s’ankylosent, où votre buste se rétracte étouffant toute respiration, comme un virus elle vous fige en un corps malade et tordu. Alors examinant l’épiderme de votre existence, vous cherchez le rouge de l’incision, voir la plaie c’est déjà donner du sens à la douleur, mais vos doigts tâtent et ne sentent ni tracés de lame ni nodules de lymphe, et pourtant elle est là et vous pèse sans explication, vous êtes ici réduit au confiné, au vétuste de votre parole, de vos gestes devenus trop courts pour se tendre, se détendre, votre voix devient tranchante et monocorde, simple actrice d’un sourire qui s’épuise dans une grimace, elle vous pèse et malgré vos mouvements amples et respectueux vous ne pouvez vous en défaire, lentement elle s’insinue en vous n’offrant aucune aspérité, aucun passage pour des corps extérieurs, pour des mots ou des attentions, tous gestes à votre égard sont alors perçus comme une ironie tranchante, vous êtes devenu une éponge sèche qui n’a plus son onctueux pour les eaux fraîches, d’un sentiment elle devient une émotion froide qui vous immobilise, non pas une pesanteur omniprésente mais un regard sans cesse porté à vous-même, vous devenez deux obsessionnellement, comme deux miroirs réfléchissant à l’infini votre présence sous tous les angles de cette

3. (j’avais 16-17 ans, et j’étais allé voir Opening night de Cassavetes, au ciné-club de la ville)

4.

                                                      existence prise dans l’étau de la solitude. Vous devenez votre propre geôlier, terrible et cynique dans ses observations, connaissant par avance vos erreurs, vos faiblesses qui vous ont conduit à reconnaître cette présence qui à présent vous enlace gluante à l’étreinte, pris dans des bras éprouvants et tâtant vos ekymoses, une voix qui vous martèle votre insuffisance, l’inconcevable de votre existence, vous réduisant par caresses appuyées à un corps las et inutile, et vous marchez sans but et sans ressource à travers ces paysages où votre ombre se détache des lumières étoilées, dans ces recoins humides où la poussière devient collante et poisseuse, pelotes de cils et de poils pubiens, d’épidermes mortes et d’ongles rouges cassés sans douleur, et plus rien ne vous pousse, vous seriez un bateau vous iriez sur une mer sans vent où les courants vous mèneraient incontrôlable, dérivant sans référence comme ces pelotes de poussière vont s’éteindre dans les endroits insalubres au regard des sociétés closes sur elles-mêmes, sourdes aux rumeurs des orages du silence, sans tonnerre ni éclat.

Alors lentement vous vous habituez à marcher, non plus après des possibles qui exploseraient cette raideur et vous remettraient dans le réseau, redevenant dès lors un nœud, un croisement de relations, vous même rendus à devoir émettre et recevoir à nouveau, à tendre des bras vers d’autres bras, des lèvres vers des peaux qui n’ont pas le cuirassé des coques solitaires, de prononcer des paroles sans équivoque et spirituelles, compréhensibles par tous à l’humour facile et léger, loin de ces macérations vicieuses et solitaires qui réduisent par autodévoration les amours propres en absence, mais vous ne marchez plus à la poursuite de quelqu’un, de quelque chose, votre dessein est de vous faire à cette nouvelle démarche comme les élégants font les chaussures neuves en cuir trop dur qui cisaillent les chevilles et racornissent les orteils, à ces habits amidonnés de ferraille à la froideur des lézards, lentement vos articulations se paralysent en fil de fer rouillé, loin de la souplesse que vous aviez connu alors, quand il fallait encore courir et se plier à des convenus pour ne pas sombrer dans la paralysie comme vous l’êtes à présent. A la vue de ce danger qui vous entoure maintenant, votre regard prend alors une confiance curieuse, lucide il examine vos possibilités d’échapper à cette faille, lucide vous déployez des stratégies, des solutions de survie, comment se détacher de cette émotion poisseuse, qui vous enlaidit à vous-même, qui déforme votre reflet dans les miroirs et courbe votre dos, vous isole finalement de tous et vous enferme dans ce territoire réservé depuis longtemps à d’autres hommes, à d’autres femmes, qui vous regardent là les rejoindre, le sourire tendre et sans moyen, vous saluant d’une poignet de la main, de baisers prudents sur

5.  (un peu plus tard, je l’avais revu et je n’avais pas compris l’attachement que j’avais ressenti la première fois – je comprends à peine pourquoi je n’avais pas compris cet attachement – on s’écarte de ce que l’on est et puis on y revient, par défaut d’exister autrement)

6. Rien.

7. Rien.

8. John Coltrane, Complete Impulse! studio recordings vol. 7

9. John Cassavetes.

12 oct. 2008

80 pour 100

Règle de projet: sachant que ce sont les derniers 20% qui sont les plus chronophages – mises au point, fignolages, relectures, doutes idiots quant au contenu (“mais c’est quoi, c'est nul, je suis une merde, &c.”), autant s’arrêter là avant de devenir vraiment dingue.

faire le buzz (ou de la place de l’artiste comme agent publicitaire)

1. Faire le “buzz”.

2. J’écrivais cette phrase: “mais le plus important n’est pas comment on mène sa vie, mais comment on en parle”, et je me suis arrêté, parce que si cela ne pouvait pas sortir de la bouche de mon personnage – en raison de sa nature –, cela ne pouvait vraiment pas sortir de la mienne.

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(Night moves, Arthur Penn)

3. C’est souvent à son corps défendant qu’on fait le buzz de sa vie. “On a passé des vacances incroyables”, “tu te souviens de ce concert en 1976, c’était vraiment punk, vraiment wild”, “moi j’ai fait des trucs de ‘ouf dans ma vie, tu peux pas savoir” – où comment on se retrouve avec une bande de guignols à-la-Eudeline qui nous refont l’histoire du punk, et qu’on lit, bavant d’intérêts et un peu de jalousie (du moins c’est l’effet voulu) pour ces hommes qui semblent avoir vécu & fait l’Histoire (<parenthèse>: je ne fais pas ici une lubie sur Eudeline, il est juste l’une de ces personnes qui ont vécu, certes des choses, mais qui en déroulent tant de verbiages qu’on a l’impression d'entendre Ulysse de retour à Ithaque ou un survivant de la bataille de Stalingrad </parenthèse>) – et la liste est longue, le net (et les réseaux sociaux en particulier) pullule d’une quantité invraisemblable de bonimenteurs – puisque de l’exposition de son travail (légitime, rendu plus simple grâce au net), on passe à la justification de son travail (déjà douteuse, moi je fais ça parce que j’ai ça à dire) et puis à sa glorification (“achetez mon poisson, c’est le meilleur” s’ébroue la marchande,”pour ces deux magnifiques porcelaines de biches, je vous offre, non pas seulement deux services à thé mais aussi ce magnifique napperon”), laquelle s’appuie évidemment sur le grossissement de détails les plus extraordinaires, comme s’ils étaient toute une vie, comme s’ils allaient trouver une place principale dans une biographie posthume.

3b. S’inventer une légende et s’y immiscer, dans l’idée qu’elle persévéra au-delà de la mort – puisqu’il me semble que cela soit ici le cœur du problème.

3c. Rédiger des slogans pour mieux se vendre.

3d. Autobiographie en carton pour existence à découper selon les pointillés.

4. Les deux temps du voyage: a.) le voyage, b.) le récit du voyage.

5. L’invention du voyage organisé a tout autant contribué à voyager-sain qu’à faciliter le récit des voyages – puisque le voyage est par avance écrit dans la brochure. D’ailleurs, je soupçonne que cela soit même la première raison pour laquelle ils ont été inventés.

11 oct. 2008

Spinoza, son poisson et nous

1. “Cela est tout aussi insensé que si un poisson, pour qui nulle vie n’est possible hors de l’eau, disait: si nulle vie éternelle ne suit pour moi cette vie dans l’eau, je veux sortir de l’eau pour aller sur terre; que peuvent dire d’autre ceux qui ne connaissent pas Dieu ?”

(Spinoza, Court traité)

2. “D’abord, à propos des pseudo-philosophes, pour qui penser signifie moraliser: “Ils ont appris à louer sur tous les tons, une nature humaine qui n’existe nulle part, et à harceler par leurs discours celle qui existe réellement.” Or projeter une nature humaine fictive revient à extraire l’homme de la nature: “Ils conçoivent l’homme dans la nature comme un empire dans un empire.” Le lien avec la tendance du vulgus à vivre dans un autre élément que dans le sien est évident: extraire l’homme de la nature, c’est sortir le poisson de l’eau. On lui prête une puissance qu’il n’a pas (maîtriser immédiatement ses passions, vivre sur terre), on ignore sa véritable puissance (comprendre par les causes, opérer dans l’eau). Non pas que la Nature en général soit un élément, mais il est fait abstraction du rapport entre une nature particulière et l’élément qui lui convient. Traiter une chose extra naturam, c’est évacuer la question de l’élément, et par conséquent, des limites tant positives que négatives d’une nature. D’un côté (le vulgus), l’autre nature est simplement celle en fonction de laquelle l’homme passif mène sa vie; de l’autre (le philosophe moraliste), l’autre nature est ce qui permet de condamner la passivité comme un choix vicieux, contre-nature. Spinoza établit lui-même le rapport: ces moralistes, “ils se représentent les hommes non pas tels qu’ils sont, mais tels qu’eux-mêmes voudraient qu’ils fussent”. Autrement dit, cette attitude leur est dictée par l’inadéquation de leurs idées, et nous en apprend plus sur eux que sur l’objet qu’ils prétendent étudier.

C’est tout un, de s’abandonner à un autre élément que le nôtre, et de passer sous silence la question de l’élément. Il est entendu que nous autres poissons employons tous nos efforts à ce jeu dangereux qui consiste à essayer de vivre sur terre, sans nous en rendre compte; mais certains d’entre nous ne voient pas non plus qu’en haïssant ce jeu, ils vont encore plus loin dans l’affirmation de cette terre, en développant la conception abstraite d’un poisson impérial, n’impliquant pas l’eau. Ils croient cesser d’adorer la terre en ne pensant plus aux éléments, mais ils s’empêchent ainsi d’affirmer l’eau (il leur manque d’en avoir joui, de savoir jouir de leur propre nature, en quelque sorte). Spinoza dit bien que la politique de ces moralistes ne peut être qu’une “chimère”, c’est-à-dire le cumul improbable et impuissant de deux essences dans une nature qui enveloppe une contradiction: ils affirment un homme qui n’en est pas un, ils proposent des remèdes adaptés à un être qui n’existe pas et qui, s’il existait, n’en aurait pas besoin.”

(Zourabichvili, Le conservatisme paradoxal de Spinoza)

3. “(…) ils affirment un homme qui n’en est pas un, ils proposent des remèdes adaptés à un être qui n’existe pas et qui, s’il existait, n’en aurait pas besoin.”

4. ?

10 oct. 2008

entre les lignes

1. Écrire sur la plénitude, écrire sur le besoin de (la) plénitude, écrire comme l'on s'allonge sur l'herbe,

2. (un réseau n'est pas seulement composé des fils et des points que ces fils relient, mais aussi des espaces qu'il y a entre ces fils et ces points)

3. Au bord des quatre-voies, entre deux rond-points, il y a de l'herbe -- des oiseaux s'y posent, et aussi un mégot de cigarette lancé de part la vitre d'une voiture.

4. Ne pas comprendre ce qui s'écrit. Écrire les phrases qui n'existent pas encore. Envisager l'histoire sous d'autres rapports. Faire apparaître les histoires qu'il y avait autour de cette histoire, comme on écrit les phrases qui n'existaient pas encore.

5. Alors les histoires se connectent, s'entrecroisent, tissent un réseau -- des fils, des points --, et chercher au milieu, dans ces espaces aveugles, autre chose (un nouveau point, inédit, vierge et donc sans définition), que l'on ne comprendra pas mais que l'on écrira -- comme dans les dictionnaires où ne figurent pas tous les mots; "le français comptent beaucoup de mots, mais certainement pas assez pour combler le silence qui nous liait" -- des mots que l'on invente.

5 oct. 2008

en attendant

1. L’un des points remarquables de Facebook est la rigidité de son design: tous les utilisateurs ont la même interface (web 2.0) – loin de celle de MySpace, qui permet des fantaisies plus ou moins de bon goût. Sur Facebook, tout le monde est égaux face au moyen mis à la disposition pour exprimer son moi profond (sic): ajouter ou non une application. Si MySpace est le terrain propice à la “créativité”, Facebook est strictement fonctionnel.

2. Facebook, c’est le retour d’une rigueur post-communiste ou, vu sous un autre angle temporel, on peut dire que l’ère soviétique a été une ère proto-Facebook. Dans l’idée où le soviétisme stalinien était marquée par l’immiscion de l’Etat dans la vie privée, et en sachant que Facebook est le lieu même où l’on expose sa vie privée, l’idée de filer la métaphore est plaisante.

3. Sur Facebook, les riches (et comme nous sommes fonctionnels, nous nommons par riches, les gens ayant un haut-rang social & financier) y viennent parce que c’est jeune et frais sans être vulgaire – très ligne claire –, les pauvres y viennent parce que c’est jeune et frais sans être vulgaire. On s’y retrouve comme l’on se retrouve tous à Ikea ou à H&M.

4. Un type à la radio s’étonnait de ne pas avoir à s’étonner que le président du Sénat français venait de refuser l’appartement qu’un “privilège” lui offrait à vie – son argumentation tenant sur la puissance des médias en tant qu’œil critique de la société, comme police de la moralité de la société. Le type poursuivait en haussant la voix comme tout bon éditorialiste: “il ne faut pas que ces gens-là, qui touchent des millions en parachutes dorés, croient qu’ils vont pouvoir s’en sortir comme ça!” Alors voilà les médias comme caisse de résonance de la vox populi, etc., mais ce n’est pas le propos.

3. Ikea/H&M est suédois et la Suède est le modèle économico-social en devenir référentiel des sociétés occidentales; là-bas, les politiciens prennent le bus pour se rendre au travail, un député qui prend le taxi en douce peut se voir mis à l’amende, voire débarqué.

4. Métro, le journal d’information gratuit qui permet à des milliers de bûcherons d’abattre tous les jours quelques terrains de football de forêts, est suédois.

5. Je ne sais pas si les députés et les grands patrons qui touchent des parachutes dorés lisent ou non Métro, et donc, je ne sais pas si c’est Métro qui fait office de grand bâton de la culpabilité -- “chéri, je vais refuser cet appartement, j’ai encore lu Métro, et je n’en puis plus de toute cette pression – Reprends encore un croissant, tu es chagrin ce matin”.

6. Le plus pénible à vivre dans un open-space où il y a votre chef de projet, c’est certes de l’avoir tout le temps sur le dos hiérarchiquement, mais c’est surtout de devoir supporter son travail – téléphone continuel, réunions improvisées à vos côtés avec d’autres chefs de projet, bruits inhérents à sa fonction – une gestion de l’effort différent qui demeure incompatible avec la vôtre. Un architecte ne travaille pas à côté de la bétonneuse, le maçon ne travaille pas à côté de la personne qui va vendre l’appartement.

7. L’open-space est une chimère démocratique.

(…)

4 oct. 2008

Notes de lecture

A propos de la mort. Spinoza, Ethique IV, prop. XXXIX, scolie -- à partir duquel François Zourabichvili écrit: “progresser, c’est plus profondément apprendre à se conserver; et l’œuvre de conservation est constamment en bute à la question de la transformation”, tout son bouquin Le conservatisme paradoxal de Spinoza reposant sur ce scolie – et dont la lecture des premières pages me plonge dans une profond sentiment d’ici-maintenant – connecté comme nous disons.

On expliquera dans la cinquième partie jusqu'à quel point tout cela peut nuire au corps ou lui être utile. Je ferai seulement remarquer ici que j'entends par la mort du corps humain une disposition nouvelle de ses parties, par laquelle elles ont à l'égard les unes des autres de nouveaux rapports de mouvement et de repos ; car je n'ose pas nier que le corps humain ne puisse, en conservant la circulation du sang et les autres conditions ou signes de la vie, revêtir une nature très différente de la sienne. Je n'ai en effet aucune raison qui me force à établir que le corps ne meurt pas s'il n'est changé en cadavre, l'expérience paraissant même nous persuader le contraire. Il arrive quelquefois à un homme de subir de tels changements qu'on ne peut guère dire qu'il soit le même homme. J'ai entendu conter d'un poète espagnol qu'ayant été atteint d'une maladie, il resta, quoique guéri, dans un oubli si profond de sa vie passée qu'il ne reconnaissait pas pour siennes les fables et les tragédies qu'il avait composées ; et certes on aurait pu le considérer comme un enfant adulte, s'il n'avait gardé souvenir de sa langue maternelle. Cela paraît-il incroyable ? Que dire alors des enfants ? Un homme d'un âge avancé n'a-t-il pas une nature si différente de celle de l'enfant qu'il ne pourrait se persuader qu'il a été enfant, si l'expérience et l'induction ne lui en donnaient l'assurance ? Mais pour ne pas donner sujet aux esprits superstitieux de soulever d'autres questions, j'aime mieux n'en pas dire davantage.

1 oct. 2008

maintenant

1. Maintenant ma jeunesse est passée et au dehors, la foule s’amasse toujours autour d’un échafaud.

2. Le plus difficile n’est pas de raconter une histoire, mais de savoir quelle histoire on raconte – et de se demander, finalement, si raconter une histoire est aussi important que cela pour ce que l’on a à dire. Proust courait après le temps perdu, Joyce se contentait d’un 15 juin. Ce qui se dit, n’a pas de début ni de fin, n’entre pas dans une durée vraiment définie. Définir un début et une fin, marque un territoire – et Proust, Joyce, Faulkner, nous ont appris que cela n’avait pas vraiment d’importance, ce début et cette fin, puisqu’il n’y a pas d’histoire mais des histoires (ça me rappelle ce début de Histoire(s) du cinéma de Godard, où il parle des histoires du cinéma) – des histoires que les personnages traversent, en biais, de front ou de dos. Rares sont les héros, les figures (Ulysse, Médée, McBeth, …), nos personnages sont la plus part du temps des gens qui traversent le temps, en bon humain. On choisit l’un deux et l’on s’en sert pour notre récit principal, parce qu’il faut bien raconter quelque chose, tout de même, bien commencer par quelque part.

3. Melville parlait de l’éléphant pour nommer le personnage fondamental d’une histoire – lequel n’est pas nécessairement le plus présent (ex. Kurtz d’Au cœur des ténèbres) – c’est celui qui est tapi dans le fond – les autres sont là que pour la forme.

4. Rien.

28 sept. 2008

deux plans, une histoire, une analyse

1. (Retour sur le rêve d’hier)

Scénario: 3 personnes: A, B, C.

C demande à A & B de réaliser quelque chose, des exercices de thérapies comportementalistes (imaginons une agence qui s’occupe de manager des serial killers, soit en réinsertion sociale, soit en réinsertion “professionnelle”). C dit à ses deux patients que le plus important, pour l’instant, n’est pas vraiment le fond mais la forme. B exécute l’exercice avec sobriété alors que A panique “il me demande de faire cela mais c’est plus la forme que le fond, et si je fais n’importe quoi (ie. si je redeviens le serial killer que j’étais avant que ma névrose me freine), B et C me prendront pour un psychopathe alors que je suis avant tout un serial killer plutôt habile (du moins l’étais-je avant ma crise devant cette personne que je m’apprêtais à tuer, etc., paralysie, ressort comique possible, etc. – la femme qu’il s’apprêtait à tuer tombe amoureuse de lui et ils vivent ensemble et elle le pousse à voir un psy (C) pour qu’il se soigne.) A est lui aussi un serial killer qui se trouve dans la même position que B – scène comique: ils sont dans la salle d’attente, ils discutent de leurs problèmes de serial killer, problèmes techniques (les meilleures cordes, meilleurs sacs, comment tu nettoies ta bagnole, moi je passe l’aspiro et après je …, etc.) B est le genre serial killer classieux alors que A est plutôt en marge.

Premier plan (au sens mathématique du terme): A et la règle castratrice du “ce n’est pas très important pour l’instant”. Dans le champ d’action, B se sent à son aise parce qu’il écrit au crayon à papier (cf. mon rêve) alors que A écrit à l’encre indélébile. L’encre, c’est ce qui donne l’importance au geste – du moins le pense-t-il puisqu’il s’organise dans le temps-après et non dans le temps-maintenant. On écrit à l’encre pour rester; on écrit au crayon à papier pour apprendre (mais la question de l’apprendre se pose ici: apprend-t-on mieux en sachant que l’on peut effacer, revenir en arrière, ou au contraire, en sachant que l’on ne peut pas effacer. La gomme efface l’erreur, l’encre rend lisible l’erreur.)

Deuxième plan: la position de A vis à vis de B & C. B & C sont de connivence, ils partagent les mêmes codes, ils savent ce que signifie “ce n’est pas très important pour l’instant”. B répond à la demande sans excès, sans trop d’efforts mais sans personnalité – alors que la finalité des exercices est avant tout de re/trouver sa personnalité, sa propre expression, son dire. A n’a pas les codes – problème d’éducation, de propre regard sur soi – une évidente auto-dépréciation qui le pousse à geindre et à se poser en victime.

Résolution de A (au sens mathématique) au premier plan: crayon à papier ou encre ? Faut-il répondre à cette demande d’une manière stupide et “petite-bourgeoise” (crayon à papier) ou faut-il s’engager (encre) comme si l’exercice s’inscrivait au-delà de l’instant (par delà l’instant).

(J’aime beaucoup cette phrase: “le plus important pour l’instant, c’est la forme” comme on dirait “le plus important pour Pierre, c’est la forme”.

Résolution de A au second plan: ne pas prendre la voie de la victimisation ni celle de l’accusation (c’est pas moi c’est les autres). S’en sortir par l’augmentation de la puissance d’agir.

2.

Ce rêve est un sommet de cuculisation gombrowiczien. Comment dois-je me comporter et le trouble que jette la remarque du correcteur – j’ai d’ailleurs utilisé le terme correcteur et non celui de surveillant alors que dans le rêve, le personnage était plutôt celui du surveillant. Mais c’est en définitive un correcteur, celui qui sanctionne, qui biffe.)

3.

-- Le trouble vient de ne pas savoir s’il faut écrire au crayon à papier ou à l’encre.

-- Avec un ordinateur, banane! me répondit-il.

27 sept. 2008

comme

1. En réalité, c’est une question d’intensité, de distance entre deux points. Toi tu fais des choses en pensant au temps bien-après alors que ces choses là s’inscrivent dans le maintenant.

2. Cette nuit, j’ai rêvé que j’étais à khâgne, ENS ou un truc comme ça; c’était le premier devoir surveillé de l’année; des documents étaient donnés aux élèves et il fallait écrire quelque chose à partir de ça – il s’agissait d’articles de presse qui parlaient grosso modo de Londres. Mon voisin de table était un ancien camarade de lycée (Pierre jesaisplus)– l’idée même du petit bourgeois des petites villes de province que j’avais connu durant mes études – petit pull en laine, chemise vichy, etc. Très inspiré, il remplissait feuille sur feuille, écrivant au crayon à papier alors que je peinais à comprendre ce qui était demandé, doutant de la qualité de mon écriture – petite et serrée, encre noire donc ineffaçable, à l’inverse de la mine en papier. Son air assuré me déstabilisait et les heures passaient, tétanisé. Puis un correcteur dit: “vous savez, dans ce genre d’épreuves, le plus important n’est pas le contenu, mais le style, la façon d’écrire. Après, à la fin de votre cursus, à l’examen final, évidemment que l’on tiendra compte du contenu, mais dans ce cas-là, …” Ces propos m’achevèrent.

Pour moi, c’est un nœud inextricable. Un jour, cette phrase a été dite et le trouble dans lequel elle m’avait jeté à l’époque se représente à moi maintenant.

En premier lieu, on impose un sujet, donc on demande un engagement sur le fond. Mais en réalité, ce n’est pas important, l’essentiel est la forme. Alors pourquoi donner ces documents s’ils ne sont pas importants. Comment voulez-vous que j’écrive quelque chose de bien si le sujet n’est pas important – parce que s’il n’est pas important, j’ai le pouvoir de faire n’importe quoi mais ce n’importe quoi, vous n’allez pas l’accepter parce que ça sera effectivement n’importe quoi. En définitive, cette phrase “ce n’est pas important” est une saloperie de règle castratrice – ce que tu fais, ce n’est pas important, mais ça ne veut pas dire que ce que tu vas faire devra être n’importe quoi – ne devra pas être le produit de quelque chose de très intime (lâcher-prise, caca, cri primal, improvisation – même autour du sujet imposé) – juste des sottises très petite-bourgeoises qui seront sans importance et dont le traitement, la manière de procédé sera jugée avant tout. Après, on verra de quoi tu es capable (ie. “ce que t’as dans le ventre” – pour filer très adéquatement l’idée du caca-création).

Evidemment, j’écris avec une encre qui ne s’efface pas. Lui peut effacer, c’est même ce qui fait sa force, au regard du correcteur. Les deux sont de connivence, chacun dans leur rôle alors que ma place est déjà en-dehors du jeu parce que les règles sont faussées -- “on te juge, mais pas sur …”

(…)

Le plus incroyable, c’est de me rendre compte à l’instant même de la résistance que je produis pour ne pas “voir” que le problème n’est pas cette histoire de règles mais du jeu de rôle de la scène (l’élève, le maître et moi); cette idée de relativité entre deux points, la distance entre deux points. Mon petit laïus de la victime qui pendait à mes lèvres m’écœure finalement. Il y a une sortie (et pas “de secours”, comme je l’avais écrit et que je corrige fissa) à ce genre de système – non pas en refusant ou en détournant le système des règles “ce n’est pas important, fais ce que l’on te demande ou non”, mais en reconsidérant les rôles et en trouvant une posture – et surtout pas celle de l’impuissance, celle de la victime.

3. (…)

4. Elephant, Alan Clarke.

26 sept. 2008

dans les cafés

Tu étais la fille indolente, tu lisais des auteurs américains, des philosophes allemands, des poètes russes, sans forcément tous les comprendre, peut-être parce que tu lisais dans les cafés comme d’autres vont au théâtre, en spectateur surveillant d’un regard absent si l’une de leurs connaissances ne les voient pas ici. Et c’était bien moins le bruit des petits crèmes s’entrechoquant contre les verres de bière qui te distrayait, que l’attention que tu portais à la curiosité des clients à ton égard. Tu t’installais là, à la petite table dans le coin, à côté de la vitre donnant sur la rue, et après avoir disposé ton paquet de cigarettes à la portée de ta main, après avoir déplacé la tasse de café et le cendrier, tu te penchais sur ce livre à la recherche du mot auquel tu t’étais arrêtée quelques temps auparavant, dans ta chambre de jeune fille indolente. Puis tu lisais et quelques lignes après, tu relevais la tête à l’affût d’un détail qui clochait. Tu n’étais jamais satisfaite de la disposition des éléments autour de toi. Alors tu détachais tes cheveux, posais l’élastique en mousse sur la table et prenais une cigarette en rapprochant le cendrier. Tes yeux allaient des entrées et des sorties à tes cuisses où reposait le livre écorné, et le texte te venait ainsi par pointillé, son sens ne prenant jamais réellement forme à tes yeux tant ton attention était écartelée entre l’univers des mots et le son de la clochette qui retentissait à chaque ouverture de porte. Et quand le café se vidait, à cette heure où les ouvriers ont fini d’engloutir leur serrano-beurre et reprennent leur travail, tu abandonnais ton regard dans la ruelle de l’autre côté de la vitre, une main sur ce livre comme une bouche ouverte, dont tu ne savais que faire puisque plus personne ne pouvait assister à ta lecture, éprouvant dès lors tout le poids des livres qu’il faut lire pour être dans le monde, et la solitude qui va avec.

20 sept. 2008

l'ultime anachorète du règne animal

1. A propos des chiens qui s'habillent en loup.
Il fallait en parler, un jour, de ces chiens. Ce ne sont pas des chien-loups, ce sont des chiens qui s'habillent en loup. Le chien est un animal domestique qui aboie fort pour se faire remarquer. Le chien qui s'habille en loup, c'est un chien qui endosse le rôle de l'animal sauvage, mais qui n'a de sauvage que l'accoutrement. Mais pourquoi un tel déploiement de moyens ? Parce qu'il sait que ce qui fascine les hommes dans le chien, c'est son appartenance au règne animal, à cette lointaine relation qu'il a un jour eu avec le loup. Alors il joue de cela pour attirer viscéralement les hommes -- voyez-le se défendre de ne pas aimer la compagnie des hommes (on ne lui connait pas d'amis, pas de relation, comme un loup est supposé ne pas en avoir) mais il est toujours là, traînant dans la société sa pelisse de faux-loup, à l'affût d'un nouveau territoire à occuper, de nouveaux regards à capter. Le chien qui s'habille en loup est avant tout un chien avec une vie de chien: il est très prévisible, il est parfaitement réglé sur la vie des hommes. La finalité des moyens qu'il met en œuvre -- aboiement, traque de la proie, recherche de nouveaux territoires -- n'est pas sa survie puisque le chien se nourrit avant tout de ce que lui donne les hommes. La finalité de cette violence qu'il emprunte au loup sans en connaître les règles, les principes et les raisons, est de recevoir des coups. Et quel animal est le plus à même à distribuer de la violence sans but si ce n'est l'homme. Lui donner des coups, c'est le satisfaire dans le choix qu'il a un jour fait de prendre l'habit du loup -- cet animal par lequel le Mal se propage. Mais si vous ne lui régalez pas la croupe de quelques coups de pieds, le chien qui s'habille en loup est avant tout un brave toutou -- vous pouvez même jouer avec lui, lui donner une gourmandise, lui faire un câlin. S'il vient à trop aboyer, caressez-lui le museau, dites-lui qu'il est le plus sauvage des loups, l'ultime anachorète du règne animal. Alors il se calmera, et à vos pieds se couchera; il gémira peut-être un temps, mais après il s'endormira, roulé dans sa pelisse de faux-loup.

2. Dialogue autour de Damiens.
-- Quelle est ton ambition sur ce texte?
-- Je ne sais pas. Plus j'avance et moins je comprends où me mènent les récits. Je dois t'avouer que ces champs qu'ils explorent me conduisent à avoir certaines idées curieuses que je n'avais pas auparavant. J'ai le sentiment de perdre toute cohérence. Mais je le vois plus comme un système qui se réorganise que comme un système qui s'égare -- pour reprendre Spinoza, qui se réforme. Je réforme mon entendement. Il arrive un jour où la musique dodécaphonique sonne à notre oreille harmonieuse. C'est de ça, dont il s'agit.
-- Alors ton histoire autour de Damiens n'est pas seulement un pastiche des romans d'aventure du XVIIIème mais aussi un champ d'exploration personnel, intime.
-- Oui, c'est ma propre intimité que je creuse et qui me laisse voir bien malgré moi la violence et la puissance, une violence pas forcément glorieuse et une puissance pas forcément rationnelle. Mais la puissance n'est pas rationnelle. La puissance conduit le corps à la consomption. La puissance est une illusion et le pouvoir en est une projection pratique... Je comprends mieux, grâce à notre dialogue, la fin de mon récit. La puissance est (certaienemnt) une illusion. C'est à creuser. Epiphanie et consomption en devenir.
-- Dis-moi, on a l'air connectés tous les deux?
-- Oui, on est bien connectés.

3. J'ouvre ton corps pour en détacher chacune des veines avec la délicatesse d'une dentellière.

4. "Tu ne me sembles pas avoir le vent dans le dos. Et je suis une voile".

11 sept. 2008

Orchesterstücke op. 10

0. Mon corps pris dans la chorégraphie balbutiante du tai-chi -- une allumette qui rêvait être un élastique.

1. Perez était un chien et il conduisait un tout-terrain.

(...)

6. Note de bas de page:
Lors d'une formation, j'avais rencontré un type, ex-taulard mis au cachot durant 20 ans pour (selon ses propres termes) "une erreur", lequel prétendait avoir aux yeux 11/10, là où mes mirettes ne dépassent guère les 4/10. Et lisant l'étonnement dans mes yeux lorsque je regardais les lunettes qu'ils portaient sur le nez (un nez percé de deux gouffres desquels explosaient comme des feux d'artifice des bottes entières de persils poilus, noircis au mauvais tabac) -- mon étonnement donc, face aux lunettes qu'ils portaient, il me répondit qu'elles lui servaient à atténuer sa vue bien plus que parfaite. Encore méditatif, je songe à ses lunettes atténuatrices, à ses 20 ans de prison pour "une erreur", à son hélicoptère, à ses berlines allemandes, à ses villas sur la côte et je me dis en pointant mon index droit sur la tempe droite et en lui imprimant de petits cercles concentriques, "mythomane, comme Alain Delon" (récemment lu une interview de Delon dans laquelle il dit "vous savez, j'ai joué dans 15 "classiques", vous comprenez pourquoi à présent je suis un peu sélectif". Il n'est pas prétentieux, son génie n'est qu'un symptôme de mythomane. Alain Delon ne brille que lorsqu'on le place au côté d'une source lumineuse. Il n'est pas lumière, il est phosphorescent.

9 sept. 2008

September song

1. Retour à la maison.

2. Cyclocosmia, là: x

3. On écrit un texte (3 tomes, une feuille, une somme) afin de pouvoir écrire le suivant -- lequel est finalement le même, à peu de choses près -- du vocabulaire, une posture, quelques livres lus, une trame, un autre récit, une autre matière, pour finalement raconter toujours la même merde.

4. Les grands hommes étaient des petits hommes qui voulaient être des grands hommes.

5. Les vieilles archives de 1997: tout ce charabia sans fin qui défrichait au lance-flamme -- on y trouve même de la noise (comme diraient nos amis du labo de poésie expé d'en face)

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L'introduction s'avère toujours décevante alors pourquoi ne pas commencer par un bruit blanc, l'un de ces bruits qui bien avant de déchirer les tympans réduit à zéro la mémoire de nos sens.


6. J'étais dans un parc près de Westminster Station -- quelque chose comme ça; le soleil ne donnait pas fort, des hommes d'affaire mangeaient des sandwiches en lisant le gratuit du jour (et vous, vous êtes apparus encore, une nouvelle fois comme une cible à atteindre, et cette fois-ci, je vous ai eus en plein dans le mille; vous n'étiez pas subitement devenus moins forts, mais j'avais compris que je m'étais trompé jusqu'ici: ce n'était pas l'innocence, ni la naïveté qu'il fallait endosser pour vous atteindre, mais dépasser le cynisme -- et garder le majeur en l'air encore quelques instants dans votre direction, en sémaphore --).


20 août 2008

a

1. Nous avions échangé des dizaines de lettres -- certaines très naïves, d'autres laissaient passer une certaine tristesse. Nous nous sommes retrouvés chez elle -- l'appartement était assez grand, un lit au milieu de la pièce, un bureau, des livres, une radio, des cassettes. Très vite, nous nous sommes rendus compte que nous ne pouvions pas nous parler. Nous restions au lit, allongés l'un à côté de l'autre, en communiquant par écrit dans un cahier que nous gardions entre nous. Ensuite je suis reparti et nous nous sommes encore écrits; et puis nous ne nous sommes plus écrits. Elle a certainement dû garder ce cahier. Tout était inconcevable; le mot dit était déjà un crime -- et le silence, dans son appel au repli, était la preuve éclatante de cette culpabilité.

2. Naïveté -> nihilisme -> ataraxie -> naïveté -> nihilisme -> ataraxie -> ...

3. Maintenant nous nous perdons quand il le faut -- dans l'acceptation des limites de nos volontés; nous ne sommes plus naïfs; tu as ce sourire quand tu lui ouvres la porte de ton appartement


et ma bouche cesse de parler, tu tournes la tête pour me regarder et ce n’est pas ton visage que je vois, ni ton sourire ni même tes yeux qui suivent le mouvement de tes bras, mais bien la forme que prend mon corps entre tes mains – tu me moules, me malaxes à l’exactitude de tes membres, sculptes mes bras à la longueur de tes bras et formes mes lèvres en un sourire quiet, rond et isolé de tout langage, sous la paume de ta main mes joues glissent glabres, de ta poitrine tu aplatis mon ventre se rétractant là, modèles mes doigts et en affines l’épiderme avec tes lèvres, sensibles éprouvent ta langue ciseleuse qui s’échappe sirupeuse, prends chair et forme, sensations chaudes et passives, mes jambes s’effilent patiemment, sortant d’une masse compacte qui se fond dans la tienne. Et tu creuses au milieu de ce corps

4. Les lieders de Webern.

5. "Le chapitre se termine par le récit d'une visite que le garde des sceaux, accompagné de trois à quatre seigneurs de la Cour, parmi lesquels, et sous un masque très-transparent, figure M. le maréchal de Richelieu, aurait rendue à l'exécuteur des hautes œuvres en son logis, sous prétexte d'examiner les chevaux destinés à l'écartèlement, et dans le but unique de les échanger contre d'autres dont le peu de vigueur devait prolonger les tortures du supplicié."

13 août 2008

Contre les chevaux

1. Rien.

2. Reprise de l'histoire autour de Robert Damiens, en guise de pause dans la labeur des centres commerciaux (H) -- tout effacer & tout refaire. La fin est prometteuse bien que le propos m'échappe totalement -- qu'est-ce que ça raconte, qu'est-ce qui se dit, c'est quoi, tu veux dire quoi là?
-- Je ne sais pas. Je suis comme ça. C'est le genre de choses qui me tiennent.
-- Qui te tiennent? Ou qui t'échappent?
-- Qui me dépassent et me portent parce que je sais que ça sera ça jusqu'à la fin. On ne naît pas presque mort et on ne décide pas d'échapper de ça sans que cela affecte un peu ta vie, ne crois-tu pas ?
-- Va.
-- Alors Contre les chevaux.

3 juil. 2008

#11

... et les nouveaux petits camarades à l'école leur demandaient où était leur maman et ils se taisaient, n'osant répondre ce qu'il (leur père) leur avait dit sur le tarmac, parmi les malles et les valises que les bleus portaient dans les soutes de l'avion affrété par l'armée "non, elle ne vient pas, elle reste ici, elle ne peut pas venir avec nous, non pas qu'il n'y a pas la place pour prendre toute la terre où elle se trouve, mais, mais, mais..., mais on ne déplace pas les morts et si on veut malgré tout les avoir à côté de soi, alors il faut rester où ils sont et s'enterrer avec; mais nous devons avancer, bien que cela ne soit pas elle (votre maman) qui nous freine -- les morts ne freinent pas, ce sont les vivants qui se donnent toujours des raisons (bonnes ou mauvaises) pour ne pas faire ou faire ce qu'ils ont à faire, les morts sont là parce qu'ils le devaient, et nous, nous nous battons contre ce que nous devons faire, ou non".

25 juin 2008

le centre, la périphérie

1. Le récit ne pouvait pas tenir; il n'est pas un personnage central -- bien qu'il soit le personnage principal -- il vit en périphérie d'une personne. Il lui fallait un centre, et ce centre, c'est moi -- et si Woody Allen interprète certains de ses personnages, alors pourquoi ne deviendrais-je pas l'un des miens -- cette entreprise littéraire commence à me plaire sérieusement!

2. J'ai demandé aux cartes si je devais récrire toute ma première partie et elles m'ont répondu "non, ce n'est pas nécessaire". Devrais-je continuer en tenant compte de ma présence.

2. Rien & tout.

3. Le Parrain 1, mais pas Le Parrain 2. Comme les américains disent: "BIG FUCK OFF".

4. L'esquive: je ne suis pas là où tu m'attends et quand je suis là, tu ne me vois pas.

10 juin 2008

Alors elle vint et alors elle tomba sur moi

Alors elle vint et alors elle tomba sur moi
la face rouge, la face verte -- les cheveux collés par la pluie sur ses joues vertes, comme des trainées filandreuses -- des rivières d'or filant à travers la verdure de sa peau et remontant jusqu'au creux des tempes (l'ivresse m'avait conduit à y poser un doigt -- "ça va pas là, ça va pas là" je répétais en tapotant (et tu riais -- et tu étais saoule -- et nous étions saouls -- et j'étais déjà saoul du son de ta voix, de ton Verbe -- de cette langue que nous formions, l'un & l'autre confinés dans nos mots, dans cette soupe -- salement saouls, nous avons parcouru la ville -- nous les gueules rouges, hululant tournant sur nous, tournant & faisant tourner la terre à la force de nos mollets -- comme un globe roule sous deux doigts en ciseau -- nous les gueules rouges, nous les gueules vertes -- "des roseaux, des roseaux" dis-tu alors en tombant sur le pas de la porte, "des roseaux", oui, tu te pliais comme du roseau et j'ai grimpé sur tes épaules et puis ensuite tu as grimpé sur mes épaules et j'ai continué tu as continué et nous sommes arrivés si haut qu'il nous faisait mal de redescendre, qu'il nous faisait mal de redescendre -- et c'était ça, nous comprenions, nous comprenions, nous les faces rouges, nous les faces vertes, ...

Lundi

1. Rien.

2. Rien.

3. Rien.

1 juin 2008

de la boxe

1. Scott Walker, the Drift.

2. "Toi, t'es un gros con, toi, t'es un gros con". Il s'approchait de moi en me faisant des doigts d'honneur. Je l'ai regardé, éberlué -- ici, je trouvais la première fois de ma vie un sens à ce mot --, et puis j'ai avalé ma coupe de champagne et puis je suis rentré chez moi -- et j'ai entr'aperçu toute la portée d'un par delà Bien & Mal -- les rôles avaient été donnés, et si j'avais été jugé, je l'avais été par contumace; mais il n'y a pas eu de barre, ni d'avocat, ni de juge avec son marteau, pas de salle des pas perdus, juste un code d'honneur qui m'a prêté le rôle du salaud. Mais faudrait-il aussi savoir de quel code d'honneur il s'agit ici, de quoi parle-t-on. Ah oui, de l'honneur des doigts.

3. La boxe est aussi l'art de l'évitement -- éviter les coups, c'est choisir ceux que l'on veut bien prendre et assumer.

22 mai 2008

Nx

1. De la fatigue, du bruit, de la course -- de la course du temps et de ma course dans les couloirs où foncent sur moi les gens qui sortent -- j'esquisse un pas, je les évite, laissant derrière moi une traîne de lumière en suspens quelques secondes et qui disparaît comme j'ai déjà disparu dans l'escalator. La lumière jaune écrase les visages des passagers, tire leurs traits jusqu'au sol et dans lesquels ils se prennent les pieds -- l'un tombe, le suivant le suit, le suivant du suivant le suit à l'identique au sol, nous tombons les uns après les autres dans un flot de râles, de bave -- les gueules déchirées.

2. Marcher toujours sur le même terrain vague comme s'il s'agissait de notre tombe que nous foulerions, pour bien tasser la terre qui la recouvre -- nous serions les fantômes aux chaussures lourdes, délaissés de la Cité, errants sans direction, entrant dans les appartements, et assis là dans un coin, nous regarderions vivre celles & ceux qui nous ont laissés partir -- sur les terrains vagues comme poussent des coquelicots dans les ornières, nous errerions d'immeuble en immeuble, pissant debout contre les murs, crachant sur ta gueule.

19 mai 2008

Transfiguration du centre commercial

1. Le centre commercial de Bergen, dans le New Jersey, abrite une église dans laquelle les clients peuvent s'y recueillir, entre deux achats.

2. Le récit circulaire: ne pas aller d'un point A à un point B, mais aller d'un point A à un point B pour en venir à un point A', point A transfiguré; le cycle se forme (apparaît) en raison de la transfiguration des éléments au point A (centre commercial, H, ville, etc.)

3. Le métro tombe en panne et puis repart. Une fois dehors, à une dame "c'est le genre de journées à la fin de laquelle vous êtes content d'avoir une assurance"; la dame regarde d'un oeil suspicieux.

4. Le lancement d'une nouvelle barre chocolatée pour le petit-déjeuner -- en présence d'une mascotte.

5. La transfiguration du centre commercial en corps vivant, chiant, suintant, pleurant.

18 mai 2008

dénuder les fils

1. Fantaisie militaire. Albert Ayler s'est finalement suicidé.

2. H: passer par le devenir-femme pour redevenir-homme. H se transforme en femme pour devenir un homme -- et se révéler pleinement dans la colère qui va le conduire au passage à l'acte. C'est en tant que femme qu'il va se révéler humain (Homme? homme?)

(Professeur Schreber)

3. Où Comment dans South Park, professeur Garrison s'affirme gay, devient par transformation Madame Garrison, jolie femme hétérosexuelle qui redevient gay-lesbienne. Pas seulement une bonne blague; un juste retour des choses.

4. Revenir à soi, c'est revenir aussi à l'habitude -- jeu d'actes répétés à l'identique qui ne lassent pas. Où comment on peut se coltiner tous les matins la même ration de biscottes, le même bol de nescafé au lait concentré sucré, ceci pendant 40 ans jusqu'à mort s'en suive -- une vie consacrée à la chicorée Leroux, à la Marlboro, aux bâtons d'encens après la cuisine, à la tisane, un corps entièrement lavé au savon de Marseille de la naissance à la disparition, jusqu'à usure de l'épiderme -- jamais on ne se lasse de toute cette consommation habituelle de produits de consommation habituelle et qui est à 90% (stat' molle) le contenu des grandes surfaces.

4b. Se définir par les habitudes les plus invisibles -- en dresser la liste.

[ ] Journée en mousse / [ ] Journée en carton

1. Se tourner dans tous les sens -- ne rien dire & entendre l'autre qui parle tout seul /s'il n'y a pas de solution.../ -- ouvrir les yeux et se retordre encore en fil de fer -- rouvrir encore les yeux (on ne sait plus quelle heure il est, c'est l'heure où tout commence à couler de partout et on n'a pas assez de mains ni de courage pour tout rattraper, ça coule sur les épaules, la gueule, le corps, ça déborde de toute part), ça vient et on le prend comme tel -- des vérités qui s'énoncent (être une merde, tout est vain et tout ce qui a été dit est inutile, tout ce qui a été fait ne valait rien (et on énonce le je) et je ne suis rien, je suis celui qui prétend, qui prétend rien, qui ne sert à rien, ne *te* sert à rien, n'a rien fait, ne fait rien de lui ni des autres, ne bouge pas, se pose dans le ridicule -- et toi qui apparais alors dans le champ des autres, où les nuances entre les personnes n'existent plus, le monde se répartissant en deux groupes distincts, eux (vous) et moi

(et on sait que cela ne va pas durer parce que derrière les oreilles, il y a un système de sécurité qui va reprendre la main, qui va relativiser la situation mais là, à l'heure qui ne figure pas sur la montre, on dégueule, on continue les yeux ouverts, on ne se donne plus de limite)

(on se dit) tout cela n'est rien, ne vaut rien, ce sont les autres qui ont raison -- les vautours, les parasites qui dévorent les humains et les lombrics qui bouffent les cadavres -- on se dresse: tenir droit, tenir ferme, dans la patience -- et ils se précipitent et ils ingurgitent et on reste témoin de nos infimes désastres, impuissants. La rage sourde se terre

(on se dit) qu'on ne figure sur aucune carte, que nous ne sommes ni des montagnes ni des mers, ni des rivières et ni des plaines, ni des villes et ni la maison où l'on a grandi et encore moins le lit dans lequel on va mourir un jour, nous sommes des roues voilées qui allons sur ces cartes, dans ces lits, dans ces maisons -- loin du monde où les autres figurent, et auxquels on ne peut pas parler, parce que notre corps s'arrête là. Alors nous allons, sur nos territoires en nous forgeant un destin -- rationalisant là nos idées, moulant une histoire que l'on parcourt avec une délectation morbide

(on se dit) on périme. Alors toi qui apparais dans le champ des autres, tu te recroquevilles à nouveau /s'il n'y a pas de solution.../ tu disais, et je me retourne encore une fois.

(on se dit) tout est vain et ils ont raison. Tu es un imposteur.

(on déroule le bras, on referme les yeux, on place la jambe gauche sous la jambe droite) on ne se dit plus rien.

2. La logorrhée.

3. [ ] journée en mousse / [ ] journée en carton

4. Comme un mur qui rencontre la tête.

13 mai 2008

Naissance du boxeur

0. Un boxeur qui ne sait pas danser est un boxeur condamné à finir à terre.

1. Ses bras se contractent autour de son visage -- avec ses poings, il arrête les attaques de son adversaire, mais parfois un coup franchit la barrière -- il saigne à l'arcade, il s'essouffle, reprend sa respiration tout en resserrant l'étau autour de son visage -- ses yeux se plissent et il tend le poing gauche qui bute sur les avant-bras de l'autre -- il frappe & encore il bute & il frappe et ses jambes sautillent -- il tourne autour comme l'on danse autour d'un feu -- il garde ses distances et la distance qui le sépare a la longueur de son bras (ne pas trop s'approcher, ne pas en être trop loin, garder la mesure en dansant autour -- un compas qui tourne et trace des cercles, garde ta gauche, garde ta gauche, frappe, et garde ta gauche -- dans les cordes, il le pousse et l'autre vacille, il lit sur ses lèvres qu'il va le tuer, qu'il va l'écraser -- maintenant il s'approche encore plus et la distance qui les sépare est si faible qu'il sent son souffle sur son visage -- tue-le, tue-le -- il est à découvert mais n'a pas le choix, il bourre le visage sur lequel ses poings rebondissent, sur son ventre contre lequel ils s'écrasent -- l'autre s'accroche, mais l'arbitre les sépare (il y a toujours une bonne âme pour séparer deux ennemis, non pas pour que le combat cesse mais pour que les deux parties puissent se voir à nouveau, se regarder droit dans les yeux et s'abattre l'un sur l'autre dans la plus totale des raisons).

2. Il faudra revenir sur cette histoire, ne pas l'oublier -- ne pas l'oublier, c'est m'en souvenir chaque fois que des éléments identiques se mettront en place afin d'acquérir des réflexes de survie (une part de l'instinct est paralysée) -- garde ta gauche, garde ta gauche, frappe & frappe.

3. La conspiration ne se prépare pas au fond d'une cave mais en place publique.

4. La nausée, Sartre.

5. La psychothérapie de groupe consiste en un dortoir rempli de divans disposés en soleil autour d'un fauteuil; les patients s'allongent, tête vers le thérapeute assis au centre du cercle, et parlent tous ensemble (ou non) -- sur son carnet, le thérapeute note la mésentente.

11 mai 2008

Trouver l'animal

Le cheval? La vache? La poule, l'oie, le cochon? La girafe...? ... le crocodile...? Mmh... plutôt un volatile, une bête qui peut disparaître dès que le danger arrive -- pas obligatoirement un oiseau rapide, plutôt même un oiseau bien lourd, un bien qui-sait-pas-trop-volé. Exit donc le pigeon (quoique), exit la colombe (non). Alors?, le serin?, le pinson, le rouge-gorge, l'hirondelle? Mmh,... le coq, la poule -- tiens, intéressant, bien qu'elle ne vole pas vraiment et que ses horaires ne correspondent pas avec l'individu. Exit donc la poule, au regret. Et puis son plumage n'est pas des plus rutilant. On gardera tout de même l'aiguisé du bec et la rapidité à l'attaque fourbe. Mais l'animal doit être beau, attirant. Des couleurs vives, des longues plumes. Et un quelque chose d'intelligent bien que pas vraiment capable. Un truc lourd, avec des couleurs, un semblant d'intelligence, qui sache voler mais plutôt pataud. Mais oui! C'est le perroquet!

17 févr. 2008

papier crayon

1. Prendre des notes sur un carnet, avec du papier et un stylo.

2. gerry, 2 types dans le désert.

3. Tenir un blog qui n'est suivi par personne (ni même par moi).

4. Faire le gerry.

5. La tentation de Nicolas Sarkozy d'en venir à la martyrologie. Ou comment en mettant du mystique dans ses propositions (le devoir de mémoire pour les enfants de cm2 -- entendu à la radio, de sa bouche: "faire cadeau de la mémoire"; mais on ne fait pas "cadeau" de la mémoire, la mémoire se transmet, se porte), du mystique, il va en arriver à la morbidité fascinante que des régimes fascistes aimaient entretenir. Le devoir de mémoire comme outil/instrument pour se rattacher aux ressentiments historiques, ce terreau duquel émerge l'aveuglement pour une cause. Ouvrir les yeux maintenant et ne surtout pas déconnecter.

25 janv. 2008

bashfr

1. H. est entré dans la banque et il ne devrait pas tarder à en sortir.

2. La proposition est bonne: dans un garage, une cave, une chambre, un groupe prépare quelque chose avec patience; leurs mains travaillent vite mais leurs visages sont concentrés, parfois l'un raconte la dernière blague à la mode, les autres rient. On boit un café, on repense encore à une meilleure solution on devrait peut-être faire comme ça, ça me rappelle cette théorie, oui, c'est ça, je te le ramène demain si je le retrouve. Quand il est trop tard, l'un s'endort dans le canapé, l'autre rentre chez lui, se pose une dernière question en enfilant sa veste, un autre prépare du café "j'ai fait du café" dit-il à ceux qui restent. On reprend où l'on s'était arrêté, on reprend la conspiration. Nous serons des héros de guerre.

3. Le raisonnement analogique, l'analyse systémique -- quelque chose m'avait plu, il y a dix ans, dans ce bordel systémique (positive feedback, negative feedback, etc.); reprendre le dada là où je l'avais laissé.

4. Ne pas s'effondrer.

5. mmh!...


[15:03] vento:
taing c't'sieste
[15:03] vento: j'adore trop ça dormir dans les chiottes
[15:03] vento:
[15:04] david: tu devrais faire clodo alors!
[15:04] david: c une réalité au quotidien ça !

21 janv. 2008

Tout-terrain

1 Ne pas assez dériver. Pratiquer le tout-terrain.

2. Glenn Branca: nous devions être en 1994, en juin, la fête de la musique; nous avions sorti les amplis en face de Phonodisc et pendant plus d'une demie-heure, nous avions joué le même accord -- peut-être même que les cordes de nos guitares étaient accordées sur la même note, mais je doute. Je me souviens très précisèment que Michel Cloup s'était arrêté et nous avait regardé d'un air dubitatif. Parfois les noms de mes acolytes me reviennent (Pascale Rivière, Louis Rou(h)au(d) (?), Guillaume Desanges, et.)

3. Selby, Waiting period.

14 janv. 2008

Retour à la boue

1. 2007.

(Ai retrouvé le mot de passe)

2. Un an et plusieurs mois sans écrire. Comme si internet obligeait à ce qu'un site -- un blog, une page personnelle, un myspace, un bidule, un truc -- soit en perpétuelle activité, soit la proie du diktat de la perfusion/profusion. Alors que l'absence est aussi un propos -- c'est un grand classique. Ne jamais le fermer même en la fermant. Un trou, c'est une bouche qui ne dit rien.

3. Après des tergiversations, revenir à H.; toujours dans la boue, le pov' Habib qui rumine sa colère. Un jour, promis, il va vomir.

4. 2008.